
(...) Les membres de l’opposition, quelle qu’elle soit, utilisent le désamour des citoyens pour les dirigeants politiques, cherchant tout simplement à prendre leur place. On est entre gens du monde, non ? Mais la crise est aujourd’hui plus profonde. Elle est celle-là même du système politique national autant qu’européen. Et la phrase de Jean-Marc Ayrault touche, consciemment ou pas, le cœur même du problème. « Remettez-vous en cause la légitimité de l’élection présidentielle au suffrage universel ? ». Prise au pied de la lettre, cette phrase semble presque anodine, rappelant que le Président a été effectivement élu. Mais, dans la réalité, elle justifie qu’un homme, bénéficiant au premier tour de 28,63% de votes parmi les 77, 95% de votants, bénéficie d’un blanc-seing. Le suffrage universel n’est pas seulement l’expression du choix d’un homme (ou du refus d’un autre). Il doit être l’expression consciente et permanente de la souveraineté populaire. Et la lecture qu’en donne Ayrault limite le rôle du suffrage universel au choix –ou au non choix- de celui qui décidera sans contrôle.
La chose est d’autant plus contradictoire que le fameux élu est subordonné à une autorité de plus en plus supérieure, l’Union européenne, grand aspirateur des souverainetés nationales et populaires. Et se retrancher derrière le suffrage universel est une insolence envers les citoyens qui ont voté non au référendum du 29 avril 2005 ou envers ceux qu’on ne consultera pas sur le futur traité transatlantique.
On ne peut pas faire appel au suffrage universel uniquement quand cela arrange, parler de légitimité uniquement quand on est au pouvoir pour la contester plus tard quand on est dans l’opposition. Il serait bon, aussi, de ne pas appeler au respect des principes républicains uniquement face à d’odieuses attaques racistes. La référence à la République devient dérisoire lorsqu’on méprise la souveraineté populaire, lorsqu’on détruit les services publics et la laïcité. Et tous les rappels à l’ordre républicain n’ont aucun sens si les citoyens ne se sentent pas écoutés. Ces déclarations aussi grandiloquentes qu’évanescentes se faufilent dans un théâtre d’ombres au service de l’enterrement de la nation et de nos libertés.
Ce n’est pas par plaisir de contester que nous appelons à un sursaut démocratique par l’élection d’une Assemblée Constituante au suffrage universel en France. C’est parce que la confiance entre citoyens et responsables politiques s’est dissoute année après année ; c’est parce que la crise n’est pas seulement celle d’une majorité, mais celle du régime ; c’est parce que cette dégradation est mortelle pour l’avenir même de notre pays et qu’elle ouvre la voie à tous les dangers ; c’est parce que le soutien du peuple est indispensable face aux défis de la période.
Un système politique se meurt, un autre peine à émerger. Il faut aider le nécessaire à naître.