
Le continent est entré dans une nouvelle ère. Les coups d’État au Mali, en Guinée, au Burkina Faso, au Niger ou la « révolution de palais » au Gabon ne seront pas les derniers. Mais l’illusion serait de penser qu’ils ont mis un terme à des régimes démocratiques. Dans une perspective au long cours, Achille Mbembe livre sa vision des causes profondes de la secousse africaine.
Comment faut-il interpréter les transformations de long terme qui se déroulent en ce moment en Afrique ? Quelle place occupent les facteurs endogènes dans ces mutations ? Quelles sont les contradictions saillantes induites par la nouvelle économie politique en voie de cristallisation sur le continent ? À partir de quelles grilles d’analyse pouvons-nous les capter de la manière la plus adéquate possible ? Cet exercice d’intelligence collective est plus qu’urgent si nous devons non seulement poser de la manière la plus adéquate possible la question de la sécurité, de la paix et de la stabilité sur le continent, mais encore ouvrir des chemins d’avenir à la relation entre l’Afrique, la France et l’Europe.
1. L’Afrique se retourne sur elle-même
Dans cette perspective, il est important d’affirmer d’entrée de jeu que la prise du pouvoir par les militaires au Mali, en Guinée, au Burkina Faso, au Niger et au Gabon, tout comme d’autres conflits plus ou moins sanglants dans les territoires africains anciennement colonisés par la France, ne sont que des symptômes d’un basculement en profondeur que l’on a longtemps occultés, et dont l’accélération soudaine prend à contrepied nombre d’observateurs1. Dans la formulation d’une politique du futur, l’erreur consisterait à prendre ces symptômes pour des causes.
Afin d’éviter de commettre une telle erreur, il faut revenir à une perspective historique. Sur ce plan, nombre d’historiens veulent voir, dans les événements récents ou en cours, les derniers soubresauts d’une longue agonie, celle du modèle français de la décolonisation incomplète. Il faudrait alors préciser que ces luttes sont, pour l’essentiel, portées par des forces éminemment endogènes. À tout prendre, elles annoncent la fin d’un cycle qui, entamé au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, aura duré près de 80 ans. (...)
l’Afrique est entrée dans un autre cycle historique. Mue par des forces pour l’essentiel endogènes, elle est en train de se retourner sur elle-même. Au cours du nouveau cycle historique, les luttes opposant les Africains entre eux, d’une part, et, d’autre part, les classes dirigeantes entre elles d’abord, et, par la suite, entre elles et leurs sociétés seront plus déterminantes que tout autre facteur externe. Pour qui veut comprendre les ressorts profonds de ce pivotage, les luttes multiformes qu’il entraîne et son inscription dans la longue durée, il faut sortir des discours convenus, changer de grille d’analyse et partir d’autres postulats. (...)
. Conséquence de la béante fracture démographique, enjeux démographiques, socio-culturels, économiques et politiques s’entrecroisent désormais, ainsi que l’attestent la contestation des formats politico-institutionnels issus de la décennie 1990, les mutations de l’autorité familiale, la rébellion silencieuse des femmes et une aggravation des conflits générationnels.
2. Du panafricanisme à la bonne gouvernance
À cette première lame de fond se greffe une autre, la montée en puissance du néo-souverainisme, version appauvrie et frelatée du panafricanisme.
Ce courant date des années 1990 lorsqu’à la faveur des plans dits d’ajustement structurels et à l’initiative des institutions financières internationales, les États africains, lourdement endettés, ont été sommés de libérer les forces du marché. L’idée, à l’époque, était simple. La stratégie consistant à augmenter les dépenses publiques et sociales financées par la dette avait montré ses limites. Il fallait, pensait-on, revitaliser un capitalisme en pleine stagnation en s’aidant, paradoxalement, d’une nouvelle forme d’État fonctionnel.
Insuffler au capitalisme une nouvelle vie en Afrique passait par la mise au pas des États par les marchés financiers et par une intégration plus poussée du continent dans l’économie mondiale. (...)
En un mot, l’idéologie de la bonne gouvernance avait pour objectif premier d’imposer et de protéger, à l’échelle nationale, un marché mondial libre en utilisant les États comme le moteur de cette transition. Un tel État se devait d’être « fort », c’est-a-dire capable de diminuer l’ampleur des contrôles sociaux qui pesaient sur le capital. Il devait être capable de financer les dépenses publiques non par davantage de dettes, mais par l’imposition, en durcissant sur le long terme la politique de répartition au profit des entreprises. Dans le paradigme de la bonne gouvernance, il était en effet légitime que leur solvabilité ayant cessé d’inspirer confiance, les États endettés soient placés sous la surveillance de l’industrie financière internationale a proportion de leur endettement, dans une dépendance structurelle à leurs créanciers. Les exécutifs nationaux devaient désormais servir de relais pour mettre en œuvre, à l’échelon national, les réformes. (...)
La bonne gouvernance était, de ce point de vue, une théorie politico-économique ayant pour axe la liberté des marchés. Cette liberté devait être garantie par l’État, lequel, pour y parvenir, pouvait légitimement avoir recours aux moyens de contrainte étatiques. En Afrique, la notion d’une économie libre dépendant d’un État fort a très vite dégénéré dans la mesure où elle a servi de justification à des États capables de recourir à des pratiques antidémocratiques. Deux conséquences directes ont résulté de ce vaste effort d’ingénierie sociale. La première fut la neutralisation de l’agenda démocratique, pourtant l’une des grandes aspirations des mouvements sociaux au début des années 1990, et l’adoubement, y compris par les institutions internationales, d’un multipartisme sans démocratie que de nombreux chercheurs, à l’époque, qualifièrent de « restauration autoritaire »4. La deuxième conséquence fut l’apparition, dès les années 1990, du courant néo-souverainiste. (...)
3. De la bonne gouvernance au néo-souverainisme (...)
Aux yeux de ses tenants, il remplit d’abord les fonctions de ferment d’une communauté émotionnelle et imaginaire, et c’est ce qui lui octroie toute sa force, mais aussi son pesant de toxicité. Ses principaux bataillons se recrutent parmi les franges de la jeunesse continentale présentes sur les réseaux sociaux, mais assez peu au sein des institutions formelles. Il puise aussi dans l’immense réservoir des diasporas. Souvent mal intégrée dans les pays où elle est née et a grandi, et parfois traitée par ces pays qui l’ont accueillie en citoyennes et citoyens de seconde zone, une bonne partie de la jeunesse afro-descendante assimile volontiers ses épreuves aux grands combats panafricanistes de l’après-guerre contre le colonialisme et la ségrégation raciale.
Le néo-souverainisme n’est pourtant pas l’exact équivalent du panafricanisme. Ce que l’on n’a en effet pas suffisamment souligné, c’est à quel point l’anticolonialisme et le panafricanisme auront contribué à l’approfondissement de trois grands piliers de la conscience moderne, à savoir la démocratie, les droits humains intrinsèques et l’idée d’une justice universelle. Or le néo-souverainisme se situe précisément en rupture avec ces trois éléments fondamentaux (...)
Ils opèrent par identification d’un bouc émissaire qu’ils érigent en ennemi absolu contre lequel tout est permis. Ainsi, quitte à les remplacer par la Russie ou la Chine, les néo-souverainistes estiment que c’est en boutant hors du continent les vieilles puissances coloniales, à commencer par la France, que l’Afrique parachèvera son émancipation. Ils s’opposent, d’autre part, à la démocratie qu’ils considèrent comme un gadget, le cheval de Troie de l’ingérence internationale. À celle-ci, ils préfèrent le culte des « hommes forts », adeptes du virilisme et pourfendeurs de l’homosexualité. D’où l’indulgence à l’égard des coups d’État militaires et la réaffirmation de la force et de la brutalité comme voies légitimes d’exercice du pouvoir. (...)
Cette version populiste du néo-souverainisme sévit dans un contexte marqué par un affaiblissement notable des organisations de la société civile et l’affaissement des corps intermédiaires, sur fond d’intensification des luttes pour les moyens d’existence et d’imbrication inédite des conflits de classe, de genre et de génération. Effet pervers des longues années de glaciation autoritaire, les logiques informelles se sont en effet étendues dans maints domaines de la vie sociale et culturelle. Signe frappant de cette évolution, le charisme individuel et la richesse matérielle sont désormais privilégiés au détriment du lent et patient travail de construction des institutions, tandis que les visions transactionnelles et clientélisme de l’engagement politique l’emportent sur le volontariat ou le bénévolat.
Face à l’enchevêtrement de crises en apparence inextricables, la démocratie électorale n’apparaît plus comme un levier efficace des changements profonds auxquels aspirent les nouvelles générations. Truquées en permanence, les élections elles-mêmes sont devenues la cause de conflits sanglants (...)
les coups d’État apparaissent de plus en plus comme la seule manière de provoquer le changement, d’assurer une forme d’alternance au sommet de l’État et d’accélérer la transition générationnelle.
Déboussolée et sans avenir, une partie importante de la jeunesse née dans les années 1990-2000 vit sa condition sur le mode d’un interminable blocus auquel seules la violence et l’action directe peuvent mettre un terme. Ce désir d’une violence cathartique, voire purgative gagne les esprits à un moment d’extraordinaire atonie intellectuelle parmi les élites politiques et économiques et, plus généralement, les classes moyennes et professionnelles. À ceci s’ajoutent les effets de crétinisation de masse induits par les réseaux sociaux. Dans la plupart des pays en effet, sphère médiatique et débats publics sont colonisés par des représentants d’une génération plombée par un analphabétisme fonctionnel, conséquence directe des décennies de sous-investissement dans l’éducation et les autres secteurs sociaux. (...)
3. Les générations sacrifiées
À ces marqueurs sociologiques, il importe d’ajouter ce qui relève de l’économie politique proprement dite. En effet, dans tous les pays africains, la fin du XXe siècle et le début du XXIe siècle ont été marqués par une intensification de la prédation et de l’extractivisme.
Sur le plan spatial, les zones grises se sont multipliées et une course effrénée à la privatisation des ressources du sol et du sous-sol a été engagée. D’importants marchés régionaux de la violence sont apparus, dans lesquels s’investissent toutes sortes d’acteurs en quête de profit, des multinationales aux services privés de sécurité militaire. Leur fonction principale est de monnayer la protection contre l’accès privilégié à des ressources rares. Grâce à ces formes nouvelles du troc, les classes dirigeantes africaines peuvent assurer leur mainmise sur l’État, sécuriser les grandes zones de ponction, militariser les échanges au loin et consolider leur arrimage aux réseaux transnationaux de la finance et du profit.
Cette nouvelle phase dans l’histoire de l’accumulation privée sur le continent a eu pour contrepartie la brutalisation et le déclassement de pans entiers de la société, et la mise en place d’un régime de claustration plus insidieux qu’à l’époque coloniale11. Les victimes principales de ce déclassement et de l’enfermement qui en est le corollaire sont les cadets sociaux, déchets d’hommes et de femmes condamnés à de périlleuses migrations. Elle a aussi abouti à des fractures sociales prononcées. (...)
aux enfants-soldats des guerres de prédation d’hier s’est substituée la foule des adolescents et mineurs qui, aujourd’hui, n’hésite pas à acclamer les putschistes — lorsqu’elle ne se retrouve pas aux premiers rangs des émeutes urbaines et des pillages qui s’ensuivent. (...)
4. Des coups d’État pour rien ?
Les coups d’État au Mali, en Guinée, au Burkina Faso, au Niger ou la « révolution de palais » au Gabon ne seront pas les derniers. L’illusion serait de penser qu’ils ont mis un terme à des régimes démocratiques.
Il n’en est rien. Les faits qui ont ouvert la voie à ces événements ont été établis par la recherche depuis les années 1990. De nombreux travaux ont, très tôt, décrit les dynamiques contradictoires et les ambivalences qui ont caractérisé les trajectoires de la démocratisation sur le continent. Ils ont également mis le doigt sur les recompositions de long terme qui ont été rendues possibles par l’ouverture au pluralisme. En dépit de l’effervescence populaire, il n’y a cependant pas eu de bouleversement radical des rapports de force entre l’État et la société. (...)
D’autre part, les coups d’État ne mettront pas nécessairement fin aux logiques de la prédation. Tous les États africains se caractérisent en effet par une emprise plus ou moins forte du militariat sur les positions de pouvoir et d’accumulation. En bien des endroits, la violence d’État s’exerce par l’intermédiaire de l’appareil policier ou par le biais d’organisations paramilitaires et l’entremise de milieux d’affaires eux-mêmes liés aux milieux de la délinquance. L’autonomie relative des appareils sécuritaires favorise, au demeurant, leur implication dans toutes sortes de trafics et en fait des opérateurs économiques en bonne et due forme. (...)
5. La lutte pour un nouvel ordre africain
On vient de montrer comment, à la faveur des plans d’ajustement structurel des années 1990 et des réformes au titre de la bonne gouvernance, l’on est passé des régimes militaires et de partis uniques à un multipartisme sans démocratie. En réponse à l’échec des transitions des années 1990 et aux tentatives de restauration autoritaire, ont commencé à apparaître, au détour des années 2010, en même temps que les mouvements dits citoyens, des contre-mouvements autoritaires. Dans la plupart des cas, ceux-ci ont pris la forme d’une défense des ordres locaux et particularistes. Les réformes au titre de la bonne gouvernance nonobstant, une bonne partie de l’Afrique est entrée dans une période de stagnation institutionnelle à partir des années 2000. (...)
Dans l’immédiat, le danger est que l’Afrique soit transformée en lieu de confrontation entre des puissances sur le déclin et d’autres en pleine ascension, dans le contexte plus large du conflit global en cours de déploiement opposant les États-Unis et la Chine.
À titre d’exemple, l’Union européenne rêve de stabilité là où les jeunes générations africaines, las d’attendre, ne jurent plus que par des changements radicaux. Paradoxalement, ce que bien des dirigeants européens qualifient d’instabilité est précisément ce qui est célébré aujourd’hui dans les capitales africaines et aux fins fonds des villages où le désir de coups d’États (au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Congo Brazzaville, en Guinée Équatoriale et ailleurs) a remplacé le désir de démocratie sous sa forme électorale. Pourquoi ? Parce que pour beaucoup, les coups d’État apparaissent — à tort — comme le seul moyen aujourd’hui de débloquer des situations d’enkystement. Par ailleurs, au cours des trente dernières années, le soutien à une démocratie substantive en Afrique n’a pas fait partie des objectifs stratégiques de l’Union. C’est toujours le cas. Celle-ci n’a eu cesse d’adouber la sorte de multipartisme sans démocratie qui est devenue la norme contre laquelle se soulèvent aujourd’hui les jeunes générations. Ce qui intéresse l’Europe, ce ne sont pas d’abord les intérêts des Africains tels qu’articulés par eux-mêmes. Ce sont ses intérêts à elle, à commencer par le contrôle des migrations, la gestion des frontières, la lutte contre le terrorisme, et la lutte contre la présence russe et chinoise sur le continent. (...)
6. Une démocratie substantive
Opposer à chaque putsch les mêmes réponses, à savoir des sanctions économiques assorties de la menace d’une intervention militaire n’est guère soutenable. De telles mesures coercitives ne recueillent tout simplement pas l’adhésion des populations africaines. Tenter de les justifier au nom de la défense de l’ordre constitutionnel dessert à terme la cause de la démocratie et ne fait que consolider le courant néo-souverainiste qui ne fera ensuite que gagner en radicalité. Il importe, en revanche, de bien comprendre pourquoi, dans un spectaculaire retournement contre les années 1990, la demande de putschs a remplacé la demande de démocratie. (...)
À rebours du fétichisme des élections, il faut miser sur une démocratie substantive, qu’il faudra construire pas à pas et sur la durée, en réarmant la pensée, en réhabilitant le désir d’histoire en lieu et place du désir de nouveaux maîtres, en misant sur l’intelligence collective des Africaines et des Africains. C’est cette intelligence qu’il faudra réveiller, nourrir et accompagner. C’est ainsi que pourront émerger de nouveaux horizons de sens, puisque la démocratie en cette ère planétaire n’a de sens que si elle est ordonnée à un dessein plus élevé, qui est la réparation et le soin du vivant. (...)
Un tel travail passe par l’invention, sur le terrain, sur chaque terrain et chantier, de nouvelles modalités relationnelles. Il ne s’agit donc pas seulement d’alléger des dettes, d’accroître des parts de marché, de construire barrages, ponts, écoles, dispensaires et puits, ou de financer des projets, mais d’initier sur le terrain et dans la durée un mouvement de fond adossé à de nouvelles coalitions sociales, intellectuelles et culturelles.
8. Une juste distance : sauver la relation entre la France et le continent africain
La France a une place dans ce projet de réanimation de la création générale, à condition qu’elle se débarrasse des oripeaux du passé et de ses illusions de grandeur. Dans la pratique, elle est confrontée à trois options. La première, c’est le choix de l’entêtement colonial. Poussé jusqu’au bout, un tel aveuglement devrait logiquement déboucher sur des interventions militaires à répétition ou, à tout le moins, sur une suite sans fin d’opérations extérieures conduites par des forces spéciales (...)
Dans le climat actuel, elle serait l’exact équivalent d’un (auto)sabordage.
La deuxième voie est celle de la rupture unilatérale. Ce scénario fut mis en œuvre en 1958 en Guinée au moment de la décolonisation. Une version « soft » est en cours au Mali ou la France n’est plus au centre du jeu. Pour le moment, elle se traduit concrètement sur le terrain par un début d’assèchement des rentes de toutes sortes (rente militaire, rente de l’aide publique au développement et rente humanitaire). Il est pour l’heure difficile d’en mesurer les conséquences de part et d’autre. (...)
La troisième option, qu’exigent les temps, consiste à forger consciemment une autre voie, celle de la juste distance13. Celle-ci permettrait de sauver ce qui pourrait encore l’être des deux côtés. Pourrait alors commencer une longue période de réinvention avec, de part et d’autre, de nouvelles coalitions culturelles, intellectuelles, sociales et économiques.
Pour y parvenir, la France doit reconstruire de fond en comble son outil diplomatique sur le continent. Elle doit également tourner le dos à une vision statique et décontextualisée de la paix, de la sécurité et de la stabilité. Aussi importante soit-elle, la lutte contre les groupes djihadistes ne peut pas constituer l’alpha et l’oméga de la sécurité humaine sur le continent. Celle-ci ne peut pas non plus être envisagée uniquement sous le prisme des seuls intérêts européens, à commencer par la protection des frontières extérieures de l’Union et la transformation du continent en un double enclos. (...)
Du reste, la protection efficace des frontières européennes passe paradoxalement par la garantie et l’extension du droit à la mobilité et à la circulation des Africains à l’intérieur du continent. La mobilité sur le continent ne peut être sécurisée dans un système constitué d’entités fermées. Il est impossible d’assurer la reproduction d’activités liées au mouvement, comme le pastoralisme, dans le cadre de territoires clos. Afin de répondre aux nouveaux défis spatio-démographiques, l’Afrique a besoin de nouveaux assemblages territoriaux qui intègrent des couloirs, des noeuds, des portails, bref toute la gamme des fonctions relationnelles inhérentes à un espace ouvert (...)
la stabilité et la sécurité ne s’obtiendront ni par des interventions militaires à répétition, ni par le soutien à des tyrans invétérés, ni par des sanctions intempestives qui n’ont pour effet que de blesser davantage des populations d’ores et déjà à genoux, mais par l’approfondissement de la démocratie.
Se pose alors la question du sens et des finalités de la présence militaire française en Afrique. En effet, il ne s’agit pas seulement de réorganiser celle-ci, notamment au Sahel. Le moment est venu de s’interroger radicalement sur le bien-fondé de cette présence, parce que c’est sa légitimité qui est remise en cause par les nouvelles générations. (...)
Sur le long terme, la stabilité et la sécurité passeront par une démilitarisation effective de tous les domaines de la vie politique, économique et sociale. Cela suppose de s’attaquer à bras le corps aux mouvements en profondeur qui nourrissent les forces d’entropie et encouragent les ruptures violentes. D’où l’importance d’une réflexion neuve sur la forme-État. (...)
Il faut, par ailleurs, relancer un nouveau cycle d’innovation institutionnelle et constitutionnelle et identifier soigneusement les forces sociales qui y trouvent leur intérêt. (...)
9. Configurer une nouvelle entente
De vieilles sociétés, que la France et l’Europe ont largement contribué à forger, sont arrivées à expiration. Le défi est de faire naître une configuration autre. Ce n’est pas qu’une affaire entre Africains. On ne peut pas continuer de suivre, sans se poser des questions, des schémas politiques et culturels historiquement dépassés et n’ayant plus lieu d’être. De puissantes parties prenantes commencent à prendre conscience que les choses ne peuvent plus continuer ainsi.
Si aucun pas décisif n’est accompli, la situation deviendra pour la France et pour l’Occident toujours plus intolérable. (...)
Les crises se succédant à un rythme tel qu’il n’y aura plus de répit, le risque est réel d’un enlisement à long terme dans une lutte à la corde aussi consumante que paralysante. Viendrait-il à se concrétiser, ce scénario ouvrirait grande la voie non pas à une nouvelle conscience planétaire, mais à la partition du monde