
C’est avec consternation que nous avons appris le dépôt par le député UMP Julien Aubert d’une proposition de loi qui viserait à sanctionner pénalement les occupations sans droit ni titre.
Elle est rendue publique trois semaines après le début du phénomène « Maryvonne », une affaire rennaise qui a directement inspiré le texte de loi du député du Vaucluse, initiateur en 2003 d’un mouvement subtilement intitulé « Rassemblement Bleu Lavande ».
Son texte, déjà signé par quarante de ses confrères, propose que les préfets soient dans l’obligation de recourir à la force publique pour expulser les occupants sans droit ni titre d’un bien immobilier dans les 48 heures après la décision du juge, et propose également de frapper les contrevenants d’une sanction d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende. Il fait suite à la proposition de loi « anti-squat » de sénatrice-maire UMP de Calais Natacha Bouchart, approuvée par le Sénat en 2014 à gauche comme à droite.
Si cette nouvelle proposition de loi vise les squats en premier lieu, elle ouvre également les possibilités de sanctionner par une peine de prison la pratique politique des occupations.
Avant de parler de cette loi qui attaque de plein fouet le droit au logement tel qu’il existe aujourd’hui, il nous semble important d’expliquer le buzz qui a justifié pour l’UMP le dépôt d’une proposition de loi en à peine trois semaines : « l’affaire Maryvonne », un événement médiatique et politique construit de toutes pièces par des groupuscules d’extrême droite radicale et des journalistes de Ouest France. (...)
Tout d’abord et contrairement à ce qui a été dit dans la presse, Maryvonne n’a jamais été délogée par les occupants du 94 rue de Châtillon.
Comme cela est mentionné dans la demande d’expulsion délivrée par son avocat, la maison n’était pas son domicile puisqu’elle était inhabitée depuis 12 ans, et laissée à l’abandon par cette dernière. Il ne s’agissait donc pas d’une violation de domicile comme on a pu le lire à peu près partout dans la presse. (...)
Autre fait qui ruine le mythe de la grand-mère qui ne pourrait plus revenir vivre chez elle : l’intention de longue date de Maryvonne est de vendre la maison, certainement pas d’y habiter au vu de l’état dans lequel elle l’a laissé. Elle l’a dit très publiquement dans le Nouvel Obs, et le confirme à travers des pièces présentes dans la demande d’expulsion déposée par son avocat au tribunal d’instance. Maryvonne a d’ailleurs dépêché des promoteurs immobiliers en 2014 pour évaluer la valeur de la parcelle, et refusé les propositions de relogement de la mairie.
Quant à la procédure d’expulsion décrite comme interminable dans la presse, elle est en fait une procédure très expéditive à l’égard des squats, puisqu’elle est engagée dans une juridiction civile qui ne met que quelques semaines à se prononcer.
A bien y regarder, Maryvonne et ses proches n’avaient pas grand chose à faire ni attendre pour engager les démarches depuis deux ans s’il n’y avait pas en réalité un défaut dans leur dossier. Nous y reviendrons plus tard...
L’affaire Maryvonne : une arnaque montée par l’extrême droite devenue proposition de loi de l’UMP
Avec du recul et au regard de la rapidité à laquelle les événements se sont enchaînés, on finit par comprendre qu’on est en présence une opération médiatique soigneusement préparée (...)
le 1er mai, le petit attroupement pour la défense de la propriété privée de la vieille dame prend la direction de la sous-préfecture de Rennes, et probablement frustrés de ne pas avoir pu tomber sur les habitants, des membres du comité de soutien tabassent un SDF sous les yeux des deux journalistes de Ouest France. Toujours dans l’optique de préserver les apparences du comité de soutien à Maryvonne, ces derniers ne mentionneront jamais dans leurs articles cette ratonnade menée en plein jour à Rennes.
De même, on ne trouve aucune image de bonnets rouges au crâne rasé défonçant à coup de masse la porte vitrée du squat lors du deuxième rassemblement, ni celles montrant des membres du comité de soutien à Maryvonne insultant et menaçant physiquement l’avocate des occupants du 94. Pourtant, les deux reporters de Ouest-France étaient présents sur place, aux côtés des caméras de BreizhInfo et LDC News - un média freelance tenu par un mythomane candidat FN aux dernières municipales en Basse Normandie.
Au total, près de 11 articles de Ouest France ont été publiés entre le 30 avril et le 8 mai sur le sujet, soit plus d’un article par jour, tous en faveur de Maryvonne et sans vérification en profondeur des tenants de l’affaire.
Une semaine plus tard, lorsque le buzz a bien pris médiatiquement avec le relais de la presse nationale et le soutien du FN et de députés UMP, l’avocat a finalement déposé un banal dossier d’assignation au tribunal d’instance, une démarche qui aurait pu être faite depuis déjà deux ans avec la même vitesse de traitement. (...)
Grâce au dossier d’assignation qui nous a été remis la semaine dernière, nous avons pu avoir des explications plus claires sur le scandale organisé ces dernières semaines : la grande révélation est que Maryvonne n’est pas pleinement propriétaire de toute la parcelle. Elle n’est en fait qu’usufruitière de l’un des lots de la maison (le salon de coiffure notamment) ; son droit se limite donc à l’entretien et l’exploitation locative de cette partie la parcelle, et ne lui permettrait à priori pas de raser la maison ou d’expulser les occupants du lieu sans le consentements des enfants de son ex-compagnon qui possèdent la nue propriété du lot en question.
A notre connaissance, ceux-ci n’ont jamais manifesté leur volonté de faire expulser le 94 rue de Châtillon et lors du procès, la représentante des nus propriétaires du salon de coiffure a déclarée ouvertement au juge se joindre aux positions de Maître Peltier, l’avocate des squatteurs.
Si Maryvonne n’est sans doute pas une idéologue et une militante d’extrême droite, force est de constater qu’elle et son avocat ont fait le choix opportuniste et assumé de s’allier avec l’extrême droite néonazie bretonne (avec le soutien actif et complaisant des deux journalistes de Ouest France), sans doute pour faire monter le buzz et faire pression sur la justice et la police pour qu’ils expulsent le squat sans la demande des autres propriétaires des murs du 94 rue de Châtillon.
Cela expliquerait leur volonté de faire passer l’occupation d’une maison inhabitée depuis douze ans pour une violation de domicile, et les tentatives de créer un trouble à l’ordre public avec les rassemblements pour pousser les forces de l’ordre à vider la maison sans décision du juge. (...)
Après avoir fait concurrence à Marion-Maréchal Le Pen en accusant par voie de presse les squatteurs d’être des « voyous qui ne travaillent pas et coûtent très cher à la société" et d’être « cagoulés comme des djihadistes », Mtre Billaud a construit une grande partie de sa plaidoirie sur une remise en question de la loi DALO, avec un argumentaire plus politique que légaliste, où la récupération politicarde de Maryvonne apparaît de plus en plus clairement.
Le mythe de la « pauvre grand mère infirme et malvoyante délogée par les squatteurs » est donc une arnaque politique, dont nous voyons aujourd’hui les résultats avec la nouvelle proposition de loi déposée par les parlementaires de droite.
Nouvelle loi contre « l’occupation sans droits ni titres » : ou comment l’UMP se sert des milices d’extrême droite et d’une affaire bidon pour lancer une campagne contre les squats et la pratique politique de l’occupation.
Si cette histoire locale prend aujourd’hui une ampleur politique beaucoup plus grave, c’est qu’à partir d’une affaire créée par les pires fachos bretons et deux journalistes de Ouest France avides de buzz, l’UMP a déposé une proposition de loi qui vise ni plus ni moins à mettre en taule tous ceux qui occupent des biens immobiliers inhabités (...)
Même si nous ne nous attendions pas à mieux venant d’une droite qui racole depuis bien longtemps l’électorat du FN, nous sommes inquiets de voir à quelle vitesse des groupuscules néonazis peuvent voir leurs actions encouragées et concrétisées en quelques semaines par des députés. Et preuve que cette entente est assumée dès le début de l’affaire Maryvonne, la députée UMP Isabelle le Callenec a accordé dès le 4 mai un entretien exclusif au blog d’extrême droite Breizhinfo sur le sujet.
Malgré les postures faussement populaires de l’extrême droite « anti-système », on retrouve bien là un des grands terrains d’entente entre ces derniers et la droite républicaine parlementaire : la défense de la propriété privée et du marché de l’immobilier, qui est en France l’un des placements les plus constants, les plus protégés par l’État et le plus investi par la vieille bourgeoisie nationale. Car ce n’est évidemment pas la protection du domicile des personnes qui est en réalité défendue dans la proposition de loi UMP, mais celle des logements vides qui sont au cœur de la stratégie de spéculation immobilière. Ceux-ci jouent un grand rôle dans le maintient à la hausse du prix des locations et dans la pression immobilière qui s’abat plus que jamais dans le quartier du squat de Châtillon, où le projet d’extension de la gare Euro-Rennes exproprie à tours de bras et fait flamber les prix. (...)
Alors que l’UMP colportait sur tous les médias que l’occupation du 94 rue de Châtillon était une violation de domicile, son député demande aujourd’hui d’étendre ce délit pénal à l’ensemble des occupations illicites de biens immobiliers, c’est à dire tous ceux qui sont inhabités ou laissés à l’abandon.
On a donc à la fois la preuve que l’occupation du 94 n’était pas une violation de domicile (puisque l’UMP cherche à changer la loi en ce sens), mais qu’il s’agit également d’une tentative pour mettre en place une répression pénale contre l’occupation des logements vides.
Plus dangereux encore, cette proposition de loi permet, par l’extension de la violation de domicile à l’ensemble des biens immobiliers et l’obligation aux préfets d’intervenir sous 48h, de réprimer pénalement et physiquement la pratique générale des occupations, entendez par là des entreprises, des universités, des administrations...
Sans avoir à invoquer le trouble à l’ordre public, les préfectures auraient toute latitude pour poursuivre les occupants par delà le flagrant délit constaté.
Derrière l’idée de cette défense de la propriété au sens large, on sent bien les ambitions de privatisation et de verrouillage pénal des espaces publics au même titre que ceux qui sont aujourd’hui inoccupés. A partir de ce fait divers qu’elle a pleinement exploité, l’UMP assume d’avoir comme ennemi commun les squatteurs, mais également les salariés qui bloquent leurs entreprises, les étudiants qui occupent leur fac, les chômeurs et précaires en lutte dans les Poles Emploi et les CAF...
C’est donc ici tout un ensemble de pratiques inhérentes au mouvement social et révolutionnaire qui sont visées, et dont la capacité à ne pas se dissocier est mise à l’épreuve aujourd’hui. (...)