
La Russie a été lourdement condamnée mardi par la CEDH dans l’affaire Sergueï Magnitski, un juriste mort en prison après avoir dénoncé un scandale de corruption, puis jugé à titre posthume, une affaire qui avait déchaîné une tempête diplomatique entre Moscou et Washington.
Mauvais traitements, absence de soins médicaux adéquats, enquête incomplète sur les circonstances du décès, durée de détention provisoire excessive, condamnation posthume "intrinsèquement inadéquate"... La Cour européenne des droits de l’Homme reproche aux autorités russes de multiples violations des droits fondamentaux dans ce dossier.
Les juges strasbourgeois ont estimé que M. Magnitski a été victime de mauvais traitements quelques heures avant sa mort et que la décision prise en mars 2013 par les autorités russes de classer sans suite l’enquête sur son décès était "superficielle". (...)
En 2008, M. Magnitski a été arrêté après avoir dénoncé une machination financière de 5,4 milliards de roubles (130 millions d’euros) ourdie selon lui par des responsables de la police et du fisc au détriment de l’Etat russe et d’Hermitage Capital.
Décédé en détention provisoire à l’âge de 37 ans, en novembre 2009, il a succombé selon les services pénitentiaires russes à un malaise, mais une enquête du Conseil consultatif pour les droits de l’Homme auprès du Kremlin a conclu en 2011 qu’il avait été victime de coups et privé de soins. Aucune poursuite pénale n’a cependant été engagée à la suite de cette enquête. (...)
La Cour a condamné la Russie à verser 34.000 euros à son épouse et sa mère pour dommage moral, une somme importante au regard de celles habituellement octroyées par cette juridiction. (...)
Alors que les deux femmes accusaient également les autorités russes de détention arbitraire, la CEDH ne les a pas suivies sur ce point mais a condamné la Russie pour un maintien excessif en détention provisoire. (...)
Pour Hugues de Suremain, coordinateur juridique du Réseau européen de contentieux pénitentiaire, une association de défense des droits des détenus, il s’agit d’une "condamnation accablante pour les autorités russes", qui démontre "un climat d’impunité généralisé".
"Cette affaire montre combien la tentative de réforme qui avait été impulsée à la fin des années 2000 par (Dmitri) Medvedev (alors président de la Russie, NDLR) pour rompre avec l’héritage du goulag a échoué", laissant la place à un "serrage de vis", estime-t-il.
Il souligne que l’arrêt Magnitski vient mettre à nouveau la pression sur les autorités russes au moment où doit se décider le sort d’un mécanisme national de prévention de la torture dans les prisons, mis en place en 2008, puis vidé de sa substance par l’éviction de tous les défenseurs des droits humains qui y participaient. (...)
Membre depuis 1996 du Conseil de l’Europe, la Russie n’a exécuté pleinement que 38 % des arrêts de la CEDH prononcés à son encontre, selon des chiffres communiqués au printemps dernier par un forum d’ONG russe de défense des Droits humains.