
Il n’y aura donc finalement pas d’exposition « carte blanche » à Bastien Vivès au prochain festival d’Angoulême fin janvier : la direction de l’événement l’a annoncé ce mercredi, après plusieurs jours de polémique, invoquant des « menaces » reçues par l’auteur dont l’œuvre, mais aussi les déclarations, posent question. Le festival continue de défendre l’auteur, considéré comme le petit prodige du 9e art français, estimant que son œuvre, « dans son ensemble, relève de la liberté d’expression et qu’il revient à la loi de tracer les frontières dans ce domaine et à la justice de les faire respecter ».
(...) Édouard Durand : On voit qu’il y a des choses qui sont en train de changer dans la société. Et que ce qui change, c’est la prise de conscience de la réalité des violences sexuelles faites aux enfants, de l’exploitation sexuelle des enfants, de la réalité de faire du corps de l’enfant un objet de fantasme ou de passage à l’acte sexuel.
Cette prise de conscience résulte de l’expression par les victimes, les enfants victimes devenus des adultes, et par les mouvements qui les soutiennent, de leur invisibilité, de leur souffrance et de leur colère.
C’est-à-dire qu’il y a un mouvement qui part d’une complaisance envers ces passages à l’acte ou ces fantasmes, et qui va vers une prise de conscience du fait que ces images, ces scènes, ces réalités sont une attaque de la dignité des enfants et de toutes les victimes, quel que soit leur âge.
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L’histoire de cette prise de conscience, c’est un combat pour réduire les marges de l’acceptable. Aujourd’hui, on en vient à une réflexion sur la différence entre la photo ou la vidéo d’un enfant exploité sexuellement et la représentation de cette même réalité par le dessin d’un personnage fictif, mais qui reste la représentation d’un enfant. C’est cette marge-là qu’on franchit. (...)
Chaque année, 160 000 enfants sont victimes de violences, de viols ou d’agressions sexuelles. (...)
Pénalement, l’inceste est un crime ou un délit. La législation a progressé l’année dernière, avec la loi du 21 avril 2021, en précisant que quand l’agresseur est un majeur, on n’a pas à interroger le consentement, c’est-à-dire qu’on n’a pas à démontrer la contrainte, la menace, la violence ou la surprise.
Ce qui ne veut pas dire que les passages à l’acte sont autorisés entre mineurs, même s’il faut prouver la contrainte, la menace, la violence ou la surprise. Ces passages à l’acte s’inscrivent par ailleurs toujours dans le cadre d’un rapport de pouvoir.
Toute la question, c’est d’arriver à enlever les hypothèses qui ont tendance à faire de ces violences une fiction romantique, c’est-à-dire de masquer la réalité par des idées fausses pour autoriser la passivité.
Bastien Vivès nie toute apologie de l’inceste et se défend notamment en évoquant des « fantasmes »…
Je ne suis pas le professionnel le mieux qualifié pour réfléchir sur les fantasmes, leur connaissance et leur source, mais ce que je sais c’est qu’on n’a pas le droit de diffuser des représentations pornographiques d’enfants. Il faut penser à la dignité des enfants victimes et des adultes qui ont été victimes dans leur enfance. (...)
Il y a des milliers et des milliers de personnes qui disent : « Quand allez-vous comprendre ce que nous vivons ? Quand allez-vous le voir ? Quand allez-vous choisir de quel côté vous êtes ? » C’est ça que j’entends. (...)
Qu’est-ce que vous répondez aujourd’hui à ceux qui crient à la censure ?
La marge de création est extrêmement grande sans qu’il soit besoin de représenter des enfants comme objets sexuels. Il y a des choses merveilleuses à écrire, peindre, composer. L’espace de création est infini.