
La question de l’égalité des sexes et de la place des femmes dans la société est plus que jamais d’actualité. Malgré les avancées, des exemples viennent constamment rappeler le chemin qu’il reste encore à parcourir. Mais ces questions sont-elles propres à notre temps ? Les femmes ont-elles attendu le XXe siècle pour revendiquer une plus grande liberté ? En Scandinavie, le débat semble s’être posé dès la fin de l’époque viking. Les femmes trouvèrent alors dans la foi chrétienne l’un de leurs principaux soutiens.
les témoignages plus anciens sont aussi plus ambigus et ne donnent pas l’impression que le sort promis aux païennes scandinaves après la mort ait été si peu enviable. En revanche, il n’est pas exclu que les idéaux chrétiens de tolérance et de merci – par opposition aux vertus guerrières – ou de chasteté et de célibat – par opposition à la fertilité – aient pu exercer une certaine attraction sur la gent féminine.
De plus, en Scandinavie comme dans les royaumes barbares de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge, les femmes semblent avoir constitué des cibles privilégiées pour les évangélisateurs. En l’occurrence, plus sédentaires que leurs époux, elles ont pu prêter une oreille plus attentive aux prêches des missionnaires, qui disposaient souvent de plus de temps pour les convaincre. Cela pourrait d’ailleurs expliquer pourquoi les manifestations de rejet du christianisme, comme ces pendentifs en forme de marteau de Thor qui se diffusent dans toute la Scandinavie au Xe siècle, sont elles aussi surreprésentées dans les tombes féminines.
Car la conversion est aussi un acte conscient par lequel un individu se choisit un destin – dans ce monde et dans l’au-delà. Souvent veuves, les femmes qui se convertissent choisissent de ne pas se remarier pour trouver dans la religion une autonomie nouvelle. De manière générale, la nouvelle foi met l’accent sur le consentement des époux. Alors certes, les mariages arrangés avaient encore de beaux jours devant eux ; mais au moins théoriquement, l’amour était désormais suffisant pour justifier un mariage non voulu par la famille, quitte à mettre des bâtons dans les roues aux stratégies matrimoniales du père.
À défaut, une femme pouvait aussi choisir d’entrer dans les ordres – et compter sur le soutien de l’Église pour faire accepter sa décision à ses proches. D’autres encore, certes exceptionnelles, firent le choix de suivre leur foi jusqu’au bout du monde, à l’image d’« Ingerun, fille de Hård », qui « fit graver ces runes à sa propre mémoire. Elle voulait partir à l’est et jusqu’à Iursala [Jérusalem] ».
Contre le groupe et la famille, le christianisme met l’accent sur le Salut individuel : il enseigne aux femmes que chacun (et chacune !) est égal·e face à Dieu, et qu’une personne de bien peut avoir une influence sur son propre destin.
La liberté n’a qu’un temps
Dès le début, les choix de ces femmes constituent toutefois un enjeu économique : pour les familles, qui ne voient pas seulement s’évaporer des perspectives d’alliances matrimoniales, mais ont aussi toutes les raisons de craindre qu’une partie de l’héritage se retrouve à terme entre les mains de l’Église ; et pour les ecclésiastiques, qui peuvent au contraire se prendre à rêver de pieuses et généreuses donations. De fait, jusqu’à la fin du XIIIe siècle, de nombreuses églises furent fondées par des femmes. (...)
Alors que le monachisme masculin n’est pas très vendeur dans la Suède du XIIe siècle, les couvents féminins connaissent un dynamisme certain. Au point que le monastère de Vreta est transformé en couvent en 1162. Mais ce dynamisme est aussi un signe que les temps changent. Ces établissements de moniales ne sont plus seulement un choix de vie : ils s’insèrent dans des stratégies nouvelles, alors qu’il devient de bon ton, pour une famille aristocratique ou royale, d’y envoyer une ou certaines de ses filles. Le christianisme s’est institutionnalisé ; les cadres de l’Église se renforcent et se hiérarchisent en même temps que, lentement, un pouvoir royal voit le jour et s’affirme. Tout en rappelant l’égalité de tou·te·s les croyant·e·s face au Salut, le « christianisme de gouvernement » redéfinit ses priorités – parmi lesquelles figure la famille et tout ce que cela implique. L’émancipation des femmes n’est pas vraiment d’actualité.
Ce schéma n’est pas propre à la Suède médiévale (...)