
Beaucoup de responsables politiques ont, sur leur carrière, de petites taches indélébiles : ces « petites phrases » compromettantes qui trottent dans toutes les têtes, et que les journalistes – toujours prompts à jouer leur rôle de contre-pouvoir, comme on sait… – aiment à rappeler. Les décennies 1980 et 1990, années de forte montée de l’extrême droite, furent riches en la matière. On se souvient des « bonnes questions et des mauvaises réponses » formulées, selon Laurent Fabius en 1984, par Jean-Marie Le Pen. Ou encore « du bruit et de l’odeur » des immigrés qui insupportaient le futur président Jacques Chirac en 1991. La petite phrase qui colle à peau de Michel Rocard est celle de la « misère du monde » que la France, avait-il déclaré, ne pouvait accueillir.
...les propos de Rocard face aux millions de téléspectateurs qui regardent « 7 sur 7 » ce 3 décembre 1989 n’ont rien de nuancé, et que sa phrase sur la « misère du monde » n’a été ni tronquée ni dénaturée. Contrairement à ce qu’il a laissé entendre par la suite, Rocard s’est flatté de mener une politique d’« immigration zéro ». Pour appuyer cette politique restrictive, en rupture avec les traditions de la gauche, il annonce même, au cours de l’émission du 3 décembre 1989, son intention de renforcer impitoyablement la lutte anti-immigrés aux frontières de la Communauté européenne ...