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AQUARIUS : « Je ne vais pas demander pardon de sauver des vies »
Article mis en ligne le 11 décembre 2018

Le Dijonnais Édouard Courcelle était présent sur le bateau de sauvetage Aquarius, il est revenu à Dijon témoigner de son expérience au secours des personnes tentant de traverser la Méditerranée depuis la Libye. Pour autant, MSF et SOS Méditerranée ont annoncé devoir changer de bateau après le retrait du pavillon panaméen.

(...) Pour Frédéric Penard, directeur des opération de l’association, « tant que des êtres humains continueront à tenter la traversée la plus dangereuse du monde, SOS Méditerranée remplira son devoir d’assistance en répondant à l’urgence par tous les moyens professionnels possibles ».

SOS Méditerranée essuie des allégations d’activité criminelle. Les opposants à ses activités voient là une forme de complicité avec des passeurs agissant depuis le territoire de la Libye. Sophie Beau, directrice de SOS Méditerranée France a contesté ces critiques : « les attaques répétées et ciblées contre les organisations humanitaires, qui viennent s’ajouter à la négligence criminelle des États membres de l’UE qui ne respectent en aucun cas leurs obligations maritimes et internationales, entraînent des risques croissants pour les personnes en détresse en mer. (...) Cette année seulement, plus de 2 100 personnes, à notre connaissance, sont mortes en Méditerranée, tandis que beaucoup d’autres ont été interceptées par les garde-côtes libyens, qui sont soutenus par l’UE. Ces naufragés sont ensuite renvoyés de force en Libye, où des traitements inhumains les attendent ».

« On fait le lien entre la réalité en mer et le quotidien des gens » (...)

Pour éclairer la situation et témoigner auprès des citoyens français, Édouard Courcelle est venu le 3 décembre 2018 débattre sur le campus de Dijon de Science Po. Il répondait à l’invitation des associations étudiantes Jesuite Refugee Service France (qui créé du lien entre les étudiants et les réfugiés) et Diversité (qui lutte contre toutes les discriminations) représentées respectivement par Thomas Griffaton et Maria Kherbouche.

Édouard Courcelle est originaire de Dijon – marin pêcheur depuis 2012, capitaine de pêche depuis 2016 – et a choisi de s’engager sur l’Aquarius. Durant un an, il a été successivement marin-sauveteur, pilote de semi-rigide et logisticien. À ses côtés dans ce débat, Mathilde Grandjean – doctorante en droit public à l’université de Bourgogne et membre de l’association SOS Refoulement à Dijon – est intervenue pour informer sur le cadre légal relatif au retrait du pavillon de l’Aquarius.

Pour Infos-Dijon, Édouard Courcelle a évoqué le sens de son témoignage : « on fait le lien entre la réalité en mer et le quotidien des gens. D’habitude, c’est fait par les médias. Les gens ont besoin d’avoir un rapport direct avec ce qui se passe. Notre action est instrumentalisée. On lit beaucoup de choses sur ce que l’on fait ». (...)

« le constat que je dresse est un constat plutôt alarmant. Aujourd’hui, on est entre des principes de droit international, des principes de droit en matière de droits des étrangers, le droit maritime... tout cela se mélange ! C’est une cacophonie totale au niveau jurisprudentiel et derrière se cache une décision purement politique ».

Dans la salle, près de 80 personnes ont suivi les explications. Le contexte géopolitique intéressait bien sûr des étudiants de Science Po mais aussi ceux de Burgundy School of Business ainsi que de l’université de Bourgogne. On retrouvait aussi dans le public des personnes engagées sur les questions de droit de l’homme (SOS Refoulement, CCFD Terre Solidaire...) ainsi que des citoyens voulant s’informer directement. (...)

« On s’est découvert humanitaire durant la mission »

L’opération Mare Nostrum, qui avait pour but de secourir les migrants, s’est arrêtée en novembre 2014. Cela amené un capitaine de marine marchande allemande, Klaus Vogel, à réfléchir avec la Française Sophie Beau à une autre solution lancée en février 2016. Un financement participatif sur Ulule a permis de récolter les fonds de départ. Le financement de SOS Méditerranée est presque totalement privé selon Édouard Courcelle qui a précisé que l’homme d’affaire américain George Soros ne finançait pas l’Aquarius, contrairement à ce que des fake news essaient de faire croire. MSF règlait la moitié du coût de l’Aquarius, 11.000 euros par jour.

L’Aquarius est un ancien patrouilleur allemand de 77 mètres qui naviguait en mer du Nord, il était loué avec son équipage à un armateur allemand, Jasmund Shipping. Les 13 sauveteurs de SOS Méditerranée étaient chargés, eux, de la mise en œuvre des canaux de secours, de la stabilisation des radeaux et de l’entretien des équipements. Le personnel de MSF s’occupait de la prise en charge des personnes à bord (soins, nourriture, médiation culturelle...) et de l’identification des problématiques humanitaires. Le navire pouvait accueillir 500 personnes.

L’Aquarius n’est pas le seul navire a être intervenu en Méditerranée sur la problématique du sauvetage de masse. Des ONG anglaises, espagnoles ou italiennes tentent aussi de secourir les migrants. Très tôt, on les a accusées d’être des « taxis services pour les migrants » alors qu’aux débuts de leurs interventions « une grande majorité des sauvetages étaient effectués par les forces armées en présence dont les garde-côtes » selon Édouard Courcelle.
(...)

Après avoir diffusé une vidéo qu’il a tournée personnellement lors d’un sauvetage critique, puisque le radeau des migrants était déjà en train de couler, Édouard Courcelle a souligné que l’embarcation était détruite après le sauvetage pour ne pas être réutilisée. Les bateaux fournis par les passeurs ne sont pas assez solides pour traverser complètement la Méditerranée centrale. De plus, les gilets de sauvetage sont rares et les personnes ne savent pas nager. Certaines embarcations en bois de 20 mètres peuvent transporter plus de 700 personnes qui sont évidemment en très mauvais état de santé, il faut alors 7 heures aux sauveteurs pour intervenir.

C’est bien ce genre de sauvetage qui a motivé le Dijonnais : « chez SOS Méditerranée en tous cas, on n’est pas venu comme humanitaires, on s’est découvert humanitaire durant la mission. On était marin, on est venu faire du sauvetage parce qu’on considérait que c’était tout simplement complètement insensé de ne pas porter secours à des gens dont la vie est en danger en mer ». Une partie humanitaire de son action qui est pourtant devenue « la partie la plus belle de mon expérience à bord. (...)

« Il y a encore des départs, il y a encore des naufrages »

Après Mare Nostrum, les États ont diminué les moyens affectés à la surveillance de la Méditerranée centrale. La plupart des ONG ayant pris le relais des puissances publiques ont été empêchées d’agir par des procédures juridiques qui leur font perdre du temps même si elles finissent toujours par gagner puisqu’il n’y aurait pas de fondement légal selon le marin : « il est interdit de renvoyer les gens vers une zone qui n’est pas sûre et, évidemment, la Libye n’est pas considérée comme un port sûr par toutes les institutions qui étudient le droit humanitaire ».

Pour Édouard Courcelle, l’arrêt de Mare Nostrum bat en brèche l’allégation de « l’appel d’air » : « ça n’a pas fait ralentir les départs de Libye. On l’a observé plus récemment : le fait que les ONG disparaissent petit à petit de la zone n’a pas empêché les gens de partir. Il y a encore des départs, il y a encore des naufrages ». SOS Méditerranée soupçonne les gardes-côtes libyens d’être corrompus et de travailler avec les passeurs (...)

Prêter assistance, une obligation essentielle du droit maritime (...)

Le débat avec le public a concerné les conditions de sauvetage ainsi que le destin des réfugiés une fois arrivé en Europe. Mathilde Grandjean a apporté quelques éclairage sur la procédure dite de Dublin qui fait que les personnes se déplaçant sans autorisation en Europe se voient renvoyées dans le premier pays où l’on a pris leurs empreintes, souvent l’Italie ou la Grèce, ce qui crée des tensions avec les opinions publiques de ces pays. La doctorante a rappelé que les équipages des bateaux de sauvetage n’ont pas le droit d’informer les personnes recueillies sur ce qui va leur arriver une fois à terre.

En conclusion, les étudiants ayant organisé le débat ont invité les participants à signer la pétition de soutien aux activités de SOS Méditerranée. Nombreux ont été celles et ceux venus ensuite échanger directement avec Édouard Courcelle pour mieux appréhender son expérience de marin sauveteur.