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À qui profite Zemmour ?
/Reseau Edition responsable
Article mis en ligne le 3 octobre 2021

L’annonce du départ d’Eric Zemmour des éditions Albin Michel en juillet 2021 a bénéficié d’une couverture médiatique sans précédent. Dénonçant avoir été évincé de la maison d’édition, l’auteur de Destin français a hurlé à la censure, bientôt rejoint par Philippe de Villiers, au nom d’une « liberté d’expression » bien à eux. Eric Zemmour a ensuite fondé Rubempré, sa propre maison, distribuée par Editis appartenant au groupe Bolloré. Les suites éditoriales du fondateur du Puy-du-Fou ne devraient plus tarder.

La mise en scène était savamment orchestrée, mais nous n’y avons pas cru. Professionnelles et professionnels du livre, nous constatons que l’extrême droite, dans la plupart des grandes maisons d’édition, n’est plus jamais censurée. Pire encore : nous savons qu’elle y est séduite, choyée. Pour une raison simple : ses soutiens consomment encore des livres, dans un secteur qui a perdu son monopole de l’information mais qui est prêt à tout pour garder le peu d’influence qui lui reste. Dans certaines grandes maisons d’édition, les lignes rouges ont été franchies depuis longtemps, nous avons vu les digues se briser les unes après les autres, à mesure que les lecteurs se raréfient.

En 2019 et 2020, Philippe de Villiers a publié deux de ses ouvrages chez Fayard avant de retourner chez Albin Michel. Patrick Buisson a publié en mai 2021, chez Albin Michel, sa Fin du monde. L’annonce de l’arrivée de Lise Boëll, ancienne éditrice des deux « bâillonnés » d’Albin Michel, à la tête des éditions Plon confirme cette tendance. Sans compter bien sûr la distribution du livre d’Eric Zemmour par Editis.

L’extrême droite est bienvenue dans l’édition, sous couvert d’un pluralisme éditorial affiché. Mais ce jeu de dupe ne trompe personne. La publication de livres haineux ou complotistes ne relève pas du pluralisme démocratique, mais de l’opportunisme. Quant aux autrices et auteurs de gauche brandi.e.s pour affirmer la pluralité, compensent-ils vraiment les idées délétères diffusées par Villiers, Zemmour et les autres ? Ou permettent-ils simplement de ne pas se sentir responsable de ses publications ?

Notre fonction première est bien de permettre de nourrir le débat, et non de participer au climat délétère des idées dans notre pays. Notre responsabilité dans le retour de l’extrême droite est immense : la carrière littéraire d’Éric Zemmour témoigne de cela. Nous lui avons permis de rencontrer ses lecteurs d’aujourd’hui et ses électeurs de demain. Défendre un auteur condamné pour des mots, pour des injures et provocations à la haine raciale est, surtout pour nous, tout sauf anodin.

Alors, à qui profite le crime ? La campagne d’Éric Zemmour s’appuie sur un livre, elle se lance avec l’annonce en fanfare de son départ d’Albin Michel et sa décision de monter sa « propre » maison. Nos intérêts sont donc convergents et nos destins sont liés : plus il gagne d’électeurs, plus les éditeurs, les distributeurs et les actionnaires gagnent de nouveaux lecteurs, du chiffre d’affaires, des parts de marché, de la visibilité, de l’influence, et finalement du pouvoir.

Certains éditeurs, à l’international, s’élèvent d’un même corps contre des auteurs qu’on leur demande de publier. Pourquoi nous, éditrices et éditeurs français, demeurons-nous silencieux ? La politique éditoriale de certains grands groupes n’est pas une fatalité qui doit s’imposer à tous. Un peu partout, des initiatives encore marginales voient le jour : des maisons d’édition indépendantes se battent pour tenter de créer d’autres espaces de parole, des libraires refusent de distribuer des livres qu’ils jugent haineux, des éditeurs, éditrices et employé.e.s tentent de s’opposer à la publication ou à la promotion de certains ouvrages dans leurs maisons d’édition. Quitte parfois à prendre le large quand l’inadéquation et l’incompréhension se font trop ressentir, sans possibilité de faire appel à la précieuse clause de conscience dont nous ne bénéficions pas.

Nous sommes des professionnelles et des professionnels du livre qui refusons la désinformation à laquelle certains de nos confrères et certaines de nos consœurs se livrent. Nous sommes des professionnelles et des professionnels du livre qui nous désolidarisons d’une partie de notre secteur qui confère une place inédite à des idéologies ultra conservatrices et attentatoires à l’État de droit. Nous sommes des professionnelles et des professionnels du livre qui croyons que notre métier a encore du sens et appelons à la mobilisation.