
Une vieille dame, laide et pauvre, affairée devant un chaudron. Personnage aussi fascinant que repoussant, la sorcière des contes de fées semble avoir toujours existé, au fond de sa forêt, prête à se glisser dans nos imaginaires. Or cette figure a une histoire, faite de femmes en chair et en os, ostracisées et persécutées entre le XVIe et le XVIIIe siècle. Et, sans cette histoire, on ne peut comprendre les origines du capitalisme.
C’est ce que nous dit Silvia Federici, universitaire américaine, marxiste et féministe, dans une analyse menée avec une limpidité réjouissante. Dévoré à l’étranger, Caliban et la Sorcière paraît enfin en français, dix ans après sa première publication en anglais (1).
L’auteure commence par revisiter un concept fondamental de la pensée marxiste pour situer la sortie du système féodal : l’« accumulation primitive », soit l’expropriation terrienne de la paysannerie et la création du travailleur « libre » et indépendant. Seulement voilà : du sort de la travailleuse, Karl Marx ne dit mot. Un constat déjà posé par des féministes depuis les années 1970, qui trouve ici une profondeur historique indispensable pour saisir les liens entre capitalisme et instauration du patriarcat salarié : la femme est petit à petit forcée à faire du travail de reproduction et des tâches domestiques son activité « naturelle », non rémunérée.
Selon Federici, trois éléments fondent le nouvel ordre économique : la privatisation des terres villageoises autrefois collectives, la colonisation du Nouveau Monde et... la chasse aux sorcières. (...)