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Mediapart
À l’usine RAGT de Calmont, dans l’Aveyron : « Les OGM, on n’en veut pas »
Article mis en ligne le 23 novembre 2021

Militantes et militants anti-OGM se sont rendus sur le site du groupe semencier RAGT le 10 novembre, pour dénoncer la production de « variétés rendues tolérantes aux herbicides ». Une nouvelle décision du Conseil d’État, deux jours plus tôt, met le gouvernement face à ses manquements.

Combinaisons blanches, tee-shirts « ni dans les champs, ni dans les assiettes »… Plus d’une soixantaine de personnes entrent, le pas soutenu, sur le site de l’usine RAGT à Calmont, dans l’Aveyron. Munies d’une grande pancarte « Inspection citoyenne en cours », le verbe joyeux, ces militantes et militants des Faucheurs volontaires, accompagnés de représentants de la Confédération paysanne et d’Attac, entendent dénoncer la production d’OGM (organismes génétiquement modifiés) par l’entreprise.

Nous sommes à une vingtaine de kilomètres de Rodez, de vastes entrepôts abritent des milliers de sacs de semences à destination de négociants et de coopératives agricoles. Les Faucheurs volontaires, fers de lance depuis une vingtaine d’années de la lutte anti-OGM, savent que se trouvent ici deux espèces de graines problématiques : les « Colza Clearfield » et « Tournesol Clearfield Plus ». Ils en ont suivi l’itinéraire depuis qu’elles ont été plantées au printemps dans un champ sur les bords du Lot, dans l’ouest du département. En août, ils ont fauché une partie des cultures ; cette fois-ci, mercredi 10 novembre, ils viennent poursuivre leur action : rendre impropres à la commercialisation les graines récoltées par RAGT début octobre.

Le groupe parcourt rapidement les allées de caissons et de palettes, inspecte les étiquettes, passe son chemin. (...)

Le voici qui trouve enfin les sacs de graines de colza qu’il cherchait. Les ouvre rapidement. Un déferlement de graines bleues glisse sur le sol : les semences sont enrobées d’un herbicide, ce sont ce que l’on appelle des « variétés rendues tolérantes aux herbicides » (VRTH), fabriquées précisément pour permettre à la plante de grandir au contact du produit phytosanitaire chargé d’éliminer toutes les herbes autour d’elle. Depuis une dizaine d’années, les VRTH se sont particulièrement répandues dans les cultures de tournesol et de colza. Or elles ne sont pas soumises à une évaluation des risques avant leur mise sur le marché, et il n’existe pas, aujourd’hui, de suivi obligatoire de ces semences.

La direction de l’usine tente de fermer les accès aux bâtiments, mais il est déjà trop tard. Des employés observent, interloqués, et certains cherchent à empêcher faucheuses et faucheurs de poursuivre. Peine perdue. Dans un autre entrepôt, le groupe trouve d’énormes sacs de graines de tournesol. Ce sont précisément les « Clearfield Plus ». L’opération recommence : les sacs sont éventrés, leur contenu est déversé sur le sol. (...)

« Ces VRTH sont des OGM, mais qui ne sont pas considérées comme tels pour le moment, explique Catherine Thelen, membre des Faucheurs volontaires. Pourtant, si l’on suit la directive européenne de 2001, ces variétés créées à partir de mutagenèse [technique de modification volontaire du génome par l’action d’agents chimiques ou physiques sur une séquence ADN – ndlr] devraient être évaluées comme des OGM. »

Dans un arrêt rendu en 2018, la Cour de justice de l’Union européenne a en effet indiqué que les méthodes de mutagenèse « qui sont apparues ou se sont principalement développées » depuis l’adoption de la directive de 2001 présentent des risques qui « pourraient s’avérer similaires à ceux résultant de la production et de la diffusion d’OGM par voie de transgenèse ». « Le développement de ces techniques/méthodes nouvelles permet de produire des variétés génétiquement modifiées à un rythme et dans des proportions sans commune mesure avec ceux résultant de l’application de méthodes traditionnelles de mutagenèse aléatoire », dit encore la Cour européenne.

C’est précisément ce point auquel s’est confronté le Conseil d’État dans sa décision rendue le 8 novembre dernier, après une première décision déjà rendue un an et demi plus tôt, offrant une nouvelle victoire à toutes celles et tous ceux qui depuis des années dénoncent les « OGM cachés » dans notre alimentation, et demandent à la Cour de justice européenne de résoudre le litige.

Des variétés susceptibles de contaminer d’autres plantes (...)

le gouvernement devait définir la liste des techniques de mutagenèse non soumises à la réglementation européenne sur les OGM – c’est-à-dire des techniques « dont la sécurité est avérée depuis longtemps » et qui peuvent être utilisées sans entraves sur le sol français. Et que, le gouvernement ne l’ayant pas fait, la question est envoyée, en urgence, à la Cour de justice européenne pour qu’elle tranche. Autrement dit, il y a un flou juridique sur le statut de ces nouveaux OGM et le gouvernement français est en tort pour n’avoir pas clarifié la classification de ces semences fabriquées. (...)

Impacts sur le vivant… et renforcement du modèle agro-industriel : « On vend des plantes résistantes aux herbicides alors que ce qu’il faut faire, c’est réduire les pesticides ! Ces produits passent ensuite dans les nappes phréatiques… Ce n’est pas l’agriculture que nous souhaitons. » Dans un rapport paru il y a deux ans, l’Anses, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, soulignait d’ailleurs le risque, avec les VRTH, d’une utilisation accrue d’herbicides par rapport à des cultures classiques et recommandait de mettre en place un dispositif de suivi de ces semences. (...)

C’est là que le bât blesse. Car rien n’a été fait en ce sens. Dans sa décision, le Conseil d’État formule ainsi deux injonctions : que le ministère de l’agriculture adopte, dans les trois mois, un plan d’évaluation des risques posés par les VRTH sur la santé humaine et les milieux aquatiques. Et qu’il prescrive, dans le même temps, les conditions de culture appropriées pour ces VRTH. Dans les deux cas, d’importantes pénalités seront imposées : 100 000 euros par semestre de retard pour la première ; 500 euros par jour de retard pour la seconde. (...)

De son côté, RAGT - qui a déposé une plainte - reconnaît que les deux variétés visées par l’action sont des organismes génétiquement modifiés. (...)

Silence du ministère de l’agriculture

Entre les deux types de graines auxquels s’est attaquée l’équipe militante anti-OGM, Laurent Guerreiro distingue le Tournesol Clearfield Plus, dont les mutations « sont natives d’avant 2001 », et le Colza Clearfield, dont l’élaboration est postérieure et qui pourrait, « dans une réglementation demain », tomber sous le coup d’« un encadrement OGM ». Si tel était le cas, l’entreprise se mettrait alors à « réfléchir sérieusement » sur le fait de continuer à en produire. Mais si ces semences sont acceptées dans d’autres pays, « on développera pour d’autres pays », assure le directeur de RAGT Semences qui travaille déjà pour le marché international.

Le ministère de l’agriculture, sommé par le Conseil d’État d’agir dans les trois mois pour mieux encadrer l’utilisation des VRTH, n’a pas répondu aux questions de Mediapart (...)