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Mediapart
À Narbonne, la justice accorde la garde d’un enfant à son père mis en examen pour inceste
#inceste
Article mis en ligne le 18 janvier 2023
dernière modification le 17 janvier 2023

Un juge de l’Aude vient d’accorder un droit de visite et d’hébergement au père de L., 8 ans, pourtant mis en examen pour agressions sexuelles sur l’enfant. Cette décision va à l’encontre des recommandations officielles en matière de lutte contre l’inceste. La mère, elle, n’a le droit de voir son fils que sous la surveillance des services sociaux.

Le 4 juillet 2022, à l’issue d’une enquête menée par un juge d’instruction, Gilles Belzons, ex-rugbyman professionnel et ex-président du Racing Club narbonnais (Aude), est mis en examen pour « agressions sexuelles incestueuses » sur son fils L., 8 ans. Comme le révélait France Bleu, le magistrat estime alors que « des indices graves ou concordants » pèsent sur ce dernier, qui est présumé innocent.

Trois semaines plus tard, le 29 juillet 2022, un juge aux affaires familiales fixait la résidence de l’enfant, actuellement placé en famille d’accueil, chez ce même père. Et, le 22 décembre dernier, un juge des enfants décidait, en appel, de lui octroyer un droit de visite et d’hébergement un week-end sur deux et pendant les vacances scolaires. La mère, elle, n’a le droit de voir son fils que deux heures toutes les deux semaines, dans un lieu neutre, sous la surveillance de l’aide sociale à l’enfance.

Comment expliquer un tel enchaînement de décisions, qui va à l’encontre des préconisations formulées par la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), recommandant de suspendre les droits de visite quand le père est poursuivi en justice ? Mediapart a consulté les décisions des juges civils et interrogé les protagonistes de ce dossier qui met en émoi la région de Narbonne, où Gilles Belzons, qui possède plusieurs restaurants, fait figure de personnalité locale. (...)

La présidente du CFCV, qui gère la ligne d’écoute de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), installée par l’exécutif en mars 2021 dans le sillage du mouvement #MeTooInceste né après la parution du livre La Familia grande de Camille Kouchner, s’insurge que « les victimes aient une présomption de mensonge ». « Tout est à l’envers », dit la militante, qui souligne que « des histoires comme celle-là, au CFCV et à la Ciivise, on en a 200 ». « Mes écoutantes sont cassées, cassées de dire aux mères : “Vous risquez la prison si vous ne présentez pas l’enfant à son père” », souffle-t-elle.

Déjà, en 2003, un rapport de l’ONU, rédigé par le rapporteur spécial Juan Miguel Petit, dénonçait les dysfonctionnements de la justice française, notamment le fait que la parole de l’enfant y serait niée. Il pointait notamment du doigt le fait qu’un enfant puisse être contraint de rester avec le parent mis en examen.

Dans un avis rendu en octobre 2021, la Ciivise demandait dans ce sens de prévoir « la suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement du parent poursuivi pour viol ou agression sexuelle incestueuse contre son enfant ». La commission disait alors être alertée par des centaines de mères dont l’enfant a révélé des violences sexuelles de la part de son père et qui sont suspectées de manipuler leur enfant pour nuire à leur conjoint, en les accusant d’inceste, le plus souvent dans le contexte d’une séparation.

Le mythe des fausses plaintes pour maltraitance (...)

Dans son avis, la Ciivise appelait aussi à en finir avec « le mythe des fausses plaintes de maltraitance sur les enfants », citant plusieurs études à l’appui. L’une d’entre elles avait mis en évidence, en 2005, sur un échantillon de 7 672 dossiers de maltraitance sur enfants, que le parent ayant la garde de l’enfant (la mère le plus souvent) ne commet une dénonciation intentionnellement fausse que dans 2 % des cas (Trocmé et Bala, 2005).

Une autre étude réalisée aux États-Unis par la professeure de droit américaine Joan Meier à partir de 4 338 jugements concernant la résidence d’enfants de parents séparés montrait que lorsque des accusations de violences sexuelles sur les enfants sont portées par les mères, elles ne sont reconnues par le juge que dans 15 % des cas, et presque jamais quand le père accuse la mère de manipulation (2 %) (Meier, 2019). (...)

Pour l’heure, les dossiers comme celui de L. s’accumulent, et ni l’autorité judiciaire ni la société ne semblent prêtes à affronter les questions qu’ils soulèvent.