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À Bure, la lutte s’envole joyeusement contre la poubelle nucléaire
Article mis en ligne le 8 février 2017

Aux confins de la Meuse et de la Haute-Marne, l’État multiplie les projets liés au projet Cigéo d’enfouissement des déchets radioactifs. Face à cette offensive, les opposants investissent les arbres et s’implantent durablement, malgré la demande d’expulsion que doit étudier le tribunal de Bar-le-Duc ce mercredi.

Bure et Mandres-en-Barrois (Meuse), reportage

La nuit humide plonge les rues dans un silence hivernal. Nimbé dans la brume, le village de Bure paraît éteint, vide. Rue de l’Église, une grande bâtisse se dessine dans la pénombre. Voitures, caravanes et bicyclettes accueillent le visiteur. Sur le mur, un discret « Bure zone libre », tracé à la peinture rouge, ainsi qu’une pancarte « Anti atom club » annoncent la couleur. Depuis 2004, la Maison des résistances héberge celles et ceux qui luttent contre l’implantation du projet Cigéo, un vaste programme d’enfouissement des déchets nucléaires dans les entrailles argileuses de ce plateau meusien.

Derrière la porte d’entrée, une joyeuse tablée ripaille autour d’une purée de potiron fumante. Sur la boisinière (gazinière à bois), un chocolat chaud au lait fermier patiente dans une casserole en cuivre. « Je n’avais jamais vu autant de monde en plein cœur de l’hiver ! s’enthousiasme un habitué des lieux. Il y a deux hivers, nous étions souvent moins de cinq. » En ce mois de février, entre trente et cinquante personnes passent chaque jour dans ce lieu de vie collectif et autogéré. (...)

« Tout est prêt pour résister en cas d’arrivée de la police »

Dans le salon cosy de la Maison, tapissé de livres sur les luttes et le nucléaire, un petit groupe fabrique des longes pour grimper aux arbres. Depuis l’été 2016, les opposants à Cigéo occupent ainsi le bois Lejuc, afin d’« empêcher les travaux de défrichement ou de forage et protéger la forêt ». Cet ancien domaine communal de Mandres-en-Barrois est devenu propriété de l’Andra au terme d’une procédure contestée. « Des habitants remettent en cause la légalité de la délibération municipale qui a permis à l’agence d’entrer en possession du bois », explique Me Samuel Delalande, un des avocats des opposants. (...)

Sans attendre la réponse de la justice, les militants antinucléaires habitent désormais le bois, bordé de plusieurs « vigies », des cabanes entourées de chicanes et de barricades. « Tout est prêt pour résister en cas d’arrivée de la police », explique Jeannot, ses bottes en caoutchouc couvertes de gadoue. Une expulsion reste en effet possible, l’Andra ayant déposé une plainte pour occupation illégale. Le tribunal de Bar-le-Duc doit se prononcer sur cette question ce mercredi 8 février. (...)

Malgré le froid et l’humidité, les chantiers essaiment. Cabanes arboricoles ou maisonnettes de plain-pied, barrières et chicanes parsèment la forêt. « Aujourd’hui, la lutte contre la poubelle nucléaire se déroule ici », observe Frédérique. L’occupation s’intensifie et les recours se multiplient. « Une bataille décisive va se jouer jusqu’à mi-mars, date à laquelle la nidification empêcherait, selon le code de l’environnement, toute déforestation, explique le Réseau sortir du nucléaire dans un communiqué. Notre détermination est essentielle, mais l’issue du bras de fer reste incertaine. » (...)

« En se répandant dans toutes les zones géographiques et toutes les dimensions, l’Andra procède à une cancérisation du territoire, dénonce Michel Marie. Le Grand-Est va devenir la poubelle nucléaire de la France. » De fait, les projets en lien avec Cigéo se multiplient, « telles des verrues » : la laverie de linge sale radioactif à Joinville, un projet de conditionnement de déchets nucléaires à Gudmont-Villiers, l’entreposage de colis radioactifs à Gondrecourt. Les lycées de Saint-Dizier et Bar-le-Duc proposent des formations reliées à l’industrie nucléaire. « À coup de subventions et de bourrage de crâne, on annihile toute volonté d’opposition, estime Michel Marie. Le plus grand ennemi, ce n’est pas l’Andra, c’est le fatalisme. » (...)

« Ce n’est pas la Zad de Notre-Dame-des-Landes ici, explique Frédérique. Il n’y a pas de zone à défendre circonscrite, c’est un territoire immense qu’il faut faire revivre. » À ses côtés, Lilou acquiesce : « Nous sommes de plus en plus nombreux à venir nous installer ici, pas pour quelques mois, mais à long terme. Il y a une envie de s’implanter dans ce territoire. » (...)

Mais pourquoi venir s’installer dans un milieu si hostile, froid, humide et nucléarisé ? Pour Nina, la lutte passe par la construction d’une vie alternative, autonome d’un point de vue énergétique et alimentaire (...)

Et comme pour conjurer une bonne fois pour toutes la morosité et le fatalisme, les opposants à Cigéo lancent un appel à l’insurrection artistique. Le 18 février, une mobilisation mêlant manifestation et actions se déroulera à Bure. « Artistes de tous horizons, venez faire vibrer la forêt libérée, pour donner couleur, forme, mouvement et vie à notre résistance ! » peut-on lire sur le site VMC.