
La pandémie a révélé des fragilités sanitaires et industrielles, même dans les pays les plus riches. Mais les promesses de relocalisation pour un contrôle des activités « stratégiques » semblent déjà enterrées.
Tribune. En pleine pandémie de Covid-19, il ne manquait aucun dirigeant politique pour promettre à l’opinion publique qu’à la mondialisation incontrôlée succéderait un processus de relocalisation des activités jugées « stratégiques ». « Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner à d’autres est une folie », avait ainsi affirmé Emmanuel Macron dès le 12 mars. « Nous devons en reprendre le contrôle », ajoutait-il solennellement, comme pour marquer une volonté de tourner la page. Quelques semaines plus tard, c’est à se demander si la « relocalisation » n’est déjà plus qu’une promesse enterrée.
Fin avril, la Commission européenne annonçait un nouvel accord de commerce et d’investissement avec le Mexique visant à faciliter l’importation de produits agricoles et d’énergies fossiles en Europe, et à ouvrir les marchés publics locaux mexicains aux multinationales européennes qui, en retour, seraient protégées par un nouveau mécanisme de règlements des différends investisseurs-Etats pourtant si décriés. Comme pour entériner cette orientation, le commissaire européen au Commerce, Phil Hogan, déclarait quelques jours plus tard « avoir besoin de davantage d’accords de libre-échange ». (...)
A Bruxelles, le mot « relocalisation » est d’ailleurs déjà banni des discussions. Il a été supplanté par le terme « autonomie stratégique », que la Commission affuble désormais de l’adjectif « ouverte » (« open strategic autonomy ») pour indiquer qu’il n’est pas envisagé de remettre en cause le principe de la libéralisation des marchés et de l’ouverture de l’Union européenne aux investissements étrangers. Il n’est plus question, si cela n’a jamais été réellement envisagé, de relocaliser massivement l’activité économique.
Après, comme avant la pandémie, la Commission veut décourager les restrictions aux échanges par une ouverture continuelle des marchés afin de sécuriser l’accès aux matières premières, garantir aux multinationales européennes leur mainmise sur les chaînes d’approvisionnement à des coûts aussi faibles que possible, et les aider à conquérir de nouveaux marchés. Et à Paris ? Presque personne ne s’est ému de la finalisation de l’accord avec le Mexique, ou des progrès des négociations avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Emmanuel Macron n’a toujours pas cherché à construire d’alliance au sein du Conseil européen pour s’opposer à la finalisation et à la ratification de nouveaux accords de commerce. (...)
Alors que près de 90 % des personnes interrogées souhaitent qu’un maximum de filières de production disséminées à travers la planète soient désormais relocalisées, nous appelons les pouvoirs publics à tirer les enseignements de la pandémie de Covid-19.
Relocaliser, c’est remettre les pieds sur terre. Relocaliser, c’est tourner la page d’une politique commerciale qui fait du dumping social, fiscal et écologique un horizon indépassable. Relocaliser, c’est ne plus faire de l’emploi et de la planète les variables d’ajustement de la rentabilité économique et financière. Relocaliser, c’est se doter d’une approche globale en matière de droits des travailleurs pour qu’ici comme ailleurs, celles et ceux qui travaillent ne deviennent les victimes des relocalisations. Relocaliser, c’est aussi faire décroître les flux de capitaux et de marchandises et la place des secteurs toxiques pour la biosphère afin de protéger et promouvoir les activités essentielles qui nous protègent et nous nourrissent. C’est enfin substituer à la logique du « produire plus, toujours plus vite, moins cher et n’importe où, avec moins de travail et moins de contraintes environnementales » celle du « produire mieux, via des emplois de qualité, des processus de production préservant la planète, des circuits courts, pour satisfaire les besoins essentiels des populations ».
C’est possible. Pour cela, il faut commencer par ne plus chercher à approfondir cette insoutenable mondialisation néolibérale et productiviste. (...)
Déverrouiller les conditions de possibilité d’une politique écologique et solidaire, voilà ce qui devrait guider l’action de celles et ceux qui ne veulent pas que le jour d’après ne soit qu’un éternel recommencement, en pire, du jour d’avant. Pour relocaliser, c’est maintenant qu’il faut agir. (...)