
Mi-septembre, la police allemande a démarré l’évacuation des activistes qui occupent depuis six ans la forêt millénaire d’Hambach, au cœur de la Rhénanie. Le bois doit être rasé pour permettre l’agrandissement de la mine de charbon voisine, exploitée par le géant RWE, projet qui interroge l’avenir de la transition énergétique allemande. Dimanche dernier, des milliers de manifestants sont venus soutenir les occupants perchés dans les arbres. Suspendue après la mort accidentelle d’un photographe la semaine dernière, l’évacuation a repris dès lundi. De nouvelles actions de soutien aux activistes et pour l’arrêt du charbon sont prévues. Reportage.
Ici, la forêt millénaire a un surnom : Hambi. « Hambi bleibt » (Hambi reste), chantent les manifestants dans le champs boueux, à l’entrée de la forêt. Depuis le 13 septembre, la police conduit une opération destinée à évacuer les lieux, et expulse manu militari les activistes qui ont érigé dans les bois un campement d’une vingtaine de cabanes dispersées et juchées dans les arbres. Une Zad « forestière », à la manière de celle de Bure ou de Notre-Dame-des-Landes en France, qui a tenu des années avant que les autorités régionales ne prennent pour prétexte d’absence de permis de construire et de défaut de sécurité incendie pour en ordonner sa destruction.
Balade en forêt sous escorte policière
Personne n’est dupe : l’enjeu est de laisser la voie libre au groupe énergétique allemand RWE pour commencer les travaux de défrichage de la forêt. « Hambi » doit bientôt disparaître pour permettre l’agrandissement de la mine de charbon à ciel ouvert, creusée en 1978 et qui s’étend déjà sur 85 kilomètres carrés en bordure de la forêt. Après la mort d’un journaliste le 18 septembre, tombé d’un arbre alors qu’il prenait des photos pendant l’évacuation, les autorités ont décidé de suspendre l’opération. Pour quelques jours seulement : les manœuvres ont repris le 24 septembre. (...)
Initialement, une grande marche de protestation était prévue dimanche. Les autorités l’ont interdite. À l’entrée de la forêt, des dizaines de camions de police sont présents. Les agents contrôlent les accès, autorisant les manifestants à y pénétrer par petits groupes, après vérification d’identité et fouille des sacs. Il y a tous les profils : des jeunes et des personnes plutôt âgées, des familles avec de jeunes enfants. Beaucoup sont ici pour la première fois. L’opération d’évacuation a attiré l’attention du pays sur ce qui se joue à Hambach : l’avenir de l’exploitation et de la consommation de charbon en Allemagne, et par conséquent celui du réchauffement climatique. (...)
Le sort du bois en délibéré jusqu’au 15 octobre
« Les travaux de défrichement devaient commencer le 1er octobre, rappelle Dirk Jansen, de l’antenne régionale des Amis de la terre Allemagne, qui participe à la manifestation. L’association a engagé une procédure judiciaire contre le défrichement. « En attente de la décision du tribunal, RWE ne peut pas commencer à abattre les arbres », précise l’écologiste. Soit pas avant le 15 octobre, un délai de deux petites semaines, alors même que la « commission charbon », mise en place en juin par le gouvernement pour décider de l’avenir de cette énergie ultra-polluante, vient seulement de reprendre ses travaux à la sortie de l’été [1]. « Débuter le défrichement en pleine session de la commission, cela pourrait être politiquement difficile à défendre », analyse Dirk Jansen. (...)
RWE avait obtenu dans les années 1990 une autorisation pour exploiter du charbon rhénan jusqu’en 2045. Les Amis de la terre Allemagne avancent qu’une sortie du charbon avant 2030 est possible. Les Verts allemands veulent, quant à eux, fermer les vingt centrales à charbon les plus polluantes d’ici deux ans.
Une mobilisation continue face au charbon
Le charbon allemand est un très gros émetteur de gaz à effet de serre. Sans fermeture prochaine de centrales à charbon, l’Allemagne ne respectera pas ses engagements en matière de réduction d’émissions de CO2. En 2015, le ministre de l’Économie d’alors, le social-démocrate Sigmar Gabriel, avait tenté de faire adopter un plan de fermeture des centrales les plus polluantes. Mais le gouvernement avait rapidement fait marche arrière sous la pression des industriels du secteur.
Aujourd’hui, l’urgence climatique toujours plus criante et les mobilisations citoyennes contre le charbon pourraient changer la donne. (...)
Car avant les 7000 manifestants venus à Hambach dimanche dernier, plusieurs milliers de personnes avaient déjà occupé les mines rhénanes de RWE en 2015, 2016 et 2017, pour demander la fin de l’exploitation de ce combustible. Une nouvelle action est prévue dans toute l’Allemagne le 30 septembre contre l’extension de la mine d’Hambach, puis encore du 25 au 29 octobre, à l’appel de l’organisation Ende Gelände pour l’arrêt du charbon. (...)
Dans toute l’Allemagne, ce sont plus de 20 000 personnes qui travaillent dans les mines et les centrales à charbon. Le chiffre est important, mais reste inférieur à celui du secteur des énergies renouvelables, qui a généré plus de 300 000 emplois en Allemagne.
Même en plein cœur de la région minière rhénane, les paysages, comme l’économie, semblent déjà avoir entamé leur transition vers les énergies vertes. Sur le chemin qui mène vers la forêt de Hambach, à quelques centaines de mètres seulement de la mine, s’étendent, en bordure du chemin de fer et de l’autoroute, des installations géantes de panneaux photovoltaïques.