
Dix thèses à propos des « Gilets jaunes », dix thèses pour les associations, dix contre-thèses à propos du macronisme
Le 17 novembre 2018 des citoyens vêtus de « gilets jaunes » manifestaient dans toute la France pour la première fois. Pendant plusieurs semaines un fort mouvement contre la politique globale d’Emmanuel Macron secoue la France. Ce mouvement est original par ses formes, les manifestants vêtus de « gilets jaunes » bloquent les routes, des points de circulation stratégiques et refusent tout encadrement et porte-parole. Ce mouvement « horizontal » dans lequel les réseaux sociaux jouent un rôle important pour la mobilisation désoriente la classe politique, les syndicats comme les commentateurs politologues, journalistes, sociologues… Le gouvernement, tout en déclarant comprendre les « gilets jaunes », les écouter, répète aussi ne pas changer le cap des politiques contestées, donc ne rien modifier des injustices sociales, environnementales, culturelles, territoriales qu’elles induisent, renforçant le sentiment de mépris des manifestants, leur colère et leurs légitimes revendications. La légitimité gouvernementale s’en trouve fortement contestée. Mais le mouvement des « gilets jaunes » pose bien plus de questions encore pour la démocratie, la société civile, les institutions. Nous allons essayer d’en cerner quelques-unes à travers dix thèses à propos des « gilets jaunes », dix thèses pour les associations et dix contre-thèses à propos du macronisme. (...)
I- Dix thèses à propos des « gilets jaunes »
Thèse I : Des formes d’organisations inhabituelles, une grande diversité parmi les « gilets jaunes » et dans leurs revendications. (...)
Le mouvement a pu se diffuser, quasi instantanément dans tout le pays, y compris les départements d’outre-mer qui sont pourtant à des milliers de km, en partie grâce aux réseaux sociaux, mais aussi parce que les chaînes de télévision en continu, ont diffusé en direct les manifestations des 17, 24 novembre, des 1er, 8, 15 et 22 décembre, ce dont n’ont pas bénéficié les manifestants et grévistes contre les ordonnances sur le code du travail, ou les cheminots luttant contre la réforme de la SNCF. Au contraire les salariés ont fait l’objet d’un dénigrement permanent de ces médias. Pour faire de l’audience, ces médias se focalisant sur les « violences » plutôt que sur les revendications ont aussi (contre leur gré souvent) participé à faire connaître la mobilisation. Mais ceci n’explique pas le soutien massif de la population au mouvement (80% après le 17 novembre, encore 72% après le 24 malgré les violences montrées en boucle par ces chaînes). Il fallait que la situation sociale, que les citoyens français aient assimilé toute l’hypocrisie du gouvernement, du président de la République et de sa majorité godillot à l’Assemblée nationale, que leur situation se soit considérablement dégradée et qu’ils en aient compris les causes et les responsables, bref que « la situation sociale soit mure ».
Thèse II : Cependant si les « réseaux sociaux » favorisent des mobilisations rapidement, permettent une visibilité immédiate, parfois massive, ils ne permettent pas de créer de l’analyse et des réponses politiques aux questions que pose la mobilisation. (...)
Thèse III : Cette diversité est une chance et une épreuve. Une chance parce que c’est le peuple qui est dans les « ronds-points » et une épreuve pour les organisations classiques, partis politiques, syndicats et associations. (...)
Ce sont bien les couches populaires, le monde du travail dans sa diversité, salariés les plus mal payés, ouvriers, employés, auto-entrepreneurs, retraités, artisans, commerçants, chefs d’entreprises (PME) qui manifestent : « La révolte des revenus modestes » comme le titre le Monde du mercredi 12 décembre en présentant une enquête sociologique des « gilets jaunes », la France qui ne peut pas terminer « les fins de mois ». Cette diversité se retrouve forcément au niveau idéologique et politique, surtout dans une société qui est travaillée depuis des décennies par une extrême droite raciste, xénophobe et démagogique. Certaines attitudes ou positions sont inadmissibles et doivent être combattues, comme la remise de réfugiés à la police ou les thèses complotistes à propos de l’accord de Marrakech sur l’immigration. Mais les débats sur les « ronds-points », les difficultés des fins de mois, le constat que depuis 18 mois c’est la même politique d’austérité aggravée qui est cause de ces difficultés, que l’on n’est pas seul dans cette situation et surtout que ce n’est pas parce qu’on l’a mérité, que l’on n’a pas fait ce qu’il fallait pour être riche, que l’on est dans la dèche, ont permis une prise de conscience qui s’est élargie au fur et à mesure de la mobilisation. (...)
Thèse IV : Le tout numérique, l’intelligence artificielle, les réseaux sociaux et la contestation sociale et politique. Une autre question se pose. Combien de temps encore les algorithmes permettront-ils ces mobilisations, ou plus exactement Google, Facebook, Twitter, YouTube qui, sous prétexte d’exclure les « fausses nouvelles », les propos racistes ou pernicieux, contrôlent et filtrent de plus en plus le contenu diffusé, permettront-ils demain la contestation sociale ou politique ? (...) Il suffit de programmer un algorithme pour que la censure soit politique, détecte toute « déviance » politique et tout appel à mobilisation, tout mot d’ordre contestataire pour que la mobilisation soit étouffée dans l’œuf. Cela peut se faire à la demande d’un gouvernement (cf La Chine ou la Turquie), ou du diffuseur lui-même.
La tentation du contrôle social total est forte, y compris dans notre pays « démocratique ».(...)
Jusqu’où les gouvernements (locaux ou nationaux), sont-ils prêt à aller dans la restriction des droits fondamentaux des personnes et des droits collectifs pour contrôler la société sous prétexte de sécurité ? Jusqu’où les grandes entreprises, les forces du capitalisme, sont-elles prêtent à contrôler la société dans toutes ses dimensions pour conserver leur position dominante, faire toujours plus de profits, tout marchandiser ?
Début de réponse ? Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook, a annoncé avoir mis en place une équipe de 30 000 modérateurs pour écarter du « réseau social » les contenus les plus polémiques, avec une « cour d’appel » devant laquelle les utilisateurs censurés pourront exercer un recours. Mais c’est également lui qui forme cette « cour d’appel », juridiction privée à sa discrétion, dans l’opacité. Toutefois Mark Zuckerberg affirme que ce « tribunal arbitral » privé sera « un organe indépendant dont les décisions seront à la fois transparentes et contraignantes », sans préciser cependant ses liens avec Facebook ou les annonceurs, son mode de financement, ni fournir l’algorithme qui fera le tri.
Il est donc aléatoire et dangereux pour les mouvements sociaux, les organisations syndicales ou associatives, la société civile, de mettre tous ses œufs dans le panier des « réseaux sociaux » et du « tout numérique ».
Thèse V : Des revendications multiples et parfois contradictoires, la remise en cause globale des politiques ultralibérales. (...)
II – Dix Thèses pour les associations (...)
III – Dix Contre-thèses à propos de la « macronie » (...)
C’est donc vers des choix de société différents, reposant sur des solidarités, la prise en compte de la « question sociale et écologique », la démocratie, le respect de la nature, qu’il faut se diriger. L’histoire nous démontre que cela ne peut se faire que par le rapport de force quoi qu’en disent les « chiens de garde » de toute profession et de toute obédience. En 2005, Waren Buffet affirmait dans une interview « la lutte des classes existe bien et c’est nous, les riches, qui sommes en train de la gagner ».
Waren Buffet a raison sur la lutte des classes, c’est bien une réalité, quant au reste l’histoire n’est jamais définitivement écrite et il s’agit de le démentir.