
Pékin ne voit pas d’un bon œil le soulèvement populaire destiné à mettre en lumière l’un des très nombreux cas de trafic d’êtres humains qui gangrènent le pays.
Lorsqu’un vidéaste s’est rendu dans le village chinois de Dongji, à l’est du pays, son objectif était simplement de s’entretenir avec un homme ayant réussi à élever huit enfants malgré sa grande pauvreté. Le blogueur vidéo n’était pas le premier à se présenter sur les lieux : le sujet, parfaitement tire-larmes, avait déjà attiré d’autres créateurs et créatrices de contenu. C’est peut-être pour cette raison que ce jour-là, raconte le New York Times, l’un des enfants en question a conduit l’intervieweur vers une personne rarement aperçue dans d’autres vidéos : sa mère.
Installée dans une cabane sans fenêtre située dans la cour de la maison familiale, portant des vêtements trop légers pour lui permettre de supporter le froid du mois de janvier, cette femme était attachée au mur, retenue par une chaîne autour du cou. Les quelques images glanées par le vidéaste à l’insu de son hôte initial n’ont pas tardé à devenir virales : la vidéo s’est propagée sur internet, créant émoi et fascination. (...)
Des demandes d’interventions gouvernementales ont été formulées par plusieurs observateurs, mais les autorités locales se sont contentées d’un bref communiqué destiné à indiquer que l’homme et la femme étaient légalement mariés et que les accusations de trafic d’être humain n’avaient aucune valeur. (...)
À la suite de la parution de ce communiqué, dans lequel il était ajouté que la femme, souffrant d’une maladie mentale et ayant tendance à se montrer violente, était attachée de façon à ne pouvoir frapper personne, l’opinion publique n’a pas cessé de s’indigner. Articles de blogs, distributions de tracts, enquêtes sur place : tout a été mis en place pour alerter le plus grand nombre et pour tenter de sauver cette prisonnière.
Au gré d’une vaste enquête, le New York Times a pu en savoir bien plus sur cette affaire que le Parti communiste chinois a tout fait pour étouffer. Surveillance de masse, intimidations, censure, détentions : aujourd’hui encore, la campagne se poursuit afin que l’homme qui retient cette femme enchaînée à Dongji ne soit pas inquiété. Pour Pékin, il est surtout question de garder la face tout en luttant contre les mouvements exigeant l’amélioration des conditions de vie des femmes dans la société chinoise.
L’identité de cette femme vivant dans des conditions absolument indignes a finalement pu être révélée : selon un rapport, elle est née dans les années 1970 dans un village pauvre de la province du Yunnan, dans le sud-ouest de la Chine. En 1998, alors qu’elle était âgée d’une vingtaine d’années, un villageois a proposé de l’aider à se faire soigner : elle souffrait vraisemblablement de troubles mentaux qui la poussaient à se conduire de façon jugée anormale. Mais la proposition cachait un piège : l’homme a finalement œuvré pour s’emparer d’elle avant de la vendre pour l’équivalent de 700 dollars (645 euros). (...)
En tout, la jeune femme a été vendue à trois reprises, comme une vulgaire marchandise, jusqu’à atterrir chez un homme de Dongji, à plus de 3.200 kilomètres de sa ville natale. Celui-ci souhaitait offrir une épouse à son fils. Au cours des vingt années qui suivent, elle a donné naissance à huit enfants, ce qui semble signifier qu’elle a été violée par son geôlier pendant plusieurs décennies.
Face à la pression populaire, la police chinoise a fini par accepter d’intervenir afin de rendre sa liberté à cette femme et d’arrêter ce mari dont elle n’a jamais voulu. C’est en tout cas la version qui fut apportée à des responsables de l’ONU en mai 2023, lorsqu’ils ont abordé le sujet auprès de représentants du gouvernement chinois. Ailleurs dans le pays, des quantités astronomiques de femmes sont recluses de façon similaire, avilies et transformées en machines à se reproduire par des hommes se sachant protégés par leur pays. En toute impunité ou presque.