
L’hypothèse d’une VIe République, définie par une Assemblée constituante, est soutenue par une partie de la gauche. Peut-elle devenir réalité et en a-t-on vraiment besoin en France ?
Sommes-nous en train d’assister au début de la fin de la Ve République ? Une partie de la gauche tente en tout cas d’enclencher cette dynamique. Le 22 janvier 2025, les députés de La France insoumise (LFI) déposaient une proposition de résolution en vue d’une « convocation d’une Assemblée constituante chargée de rédiger la Constitution de la VIe République ».
Quelques semaines plus tard, Marine Tondelier, la secrétaire nationale des Écologistes (EELV), émettait elle aussi une proposition en ce sens dans les colonnes de Ouest-France. La responsable interpellait directement Emmanuel Macron et lui demandait « d’organiser un référendum sur ce sujet et de mettre en place une Assemblée constituante ». Les Verts ont, par ailleurs, publié une pétition sur leur site internet pour défendre le projet. Elle réunit à ce jour un peu moins de 7.000 signatures. (...)
quelles solutions pourraient permettre de renouveler notre démocratie et de la rendre à nouveau fonctionnelle ?
Faut-il entrer dans la VIe République ?
Clément Viktorovitch, docteur en science politique spécialisé dans la rhétorique et l’analyse du discours, est convaincu que la rédaction d’une nouvelle Constitution est nécessaire. Selon lui, le blocage des institutions auquel nous faisons face n’est pas circonstanciel, mais structurel. (...)
Le politologue est, par ailleurs, à l’origine d’une autre pétition pour la mise en place d’une Assemblée constituante, « composée de citoyennes et de citoyens tirés au sort » et épaulés « par des spécialistes reconnus par leurs pairs », dont la mission serait de rédiger une nouvelle Constitution. Publiée au lendemain des élections législatives anticipées, cette pétition compte aujourd’hui plus de 60.000 signataires.
Dominique Rousseau, juriste et professeur de droit constitutionnel à l’Université Paris 1, souscrit au fait que « la Constitution en vigueur n’est plus exactement connectée aux attentes de la société ». Malgré l’engouement qui émerge chez certains autour de l’idée de constituante, lui ne croit pas tant en l’écriture d’une nouvelle Constitution qu’en la modification de l’actuelle. (...)
Une Assemblée constituante, comment faire ?
Si toutefois elle venait à être mise en place, cette assemblée constituante pourrait prendre plusieurs formes. Ses membres, chargés de rédiger la prochaine Constitution, pourraient être des représentants élus, sinon désignés, ou bien des citoyens tirés au sort. Clément Viktorovitch en est convaincu : pour que le processus ait une chance d’aboutir, « il ne faut absolument pas que les partis politiques mettent le nez dedans. Dès lors qu’ils seront dans l’Assemblée, il y aura de la division partisane. Chaque clan fera prévaloir sa proposition et le débat sera fossilisé d’avance. »
Selon lui, les différentes formations ne devraient être entendues que lors des auditions qu’elles soutiendront, entre celles d’universitaires et autres spécialistes, et qui nourriront les débats des citoyens. « Une fois que le texte est rédigé, il faut qu’il y ait une automaticité, ajoute-t-il. Il doit être soumis aux citoyens sans que l’Assemblée nationale ou le Sénat puisse y mettre son grain de sel. Ensuite, il appartiendra à chacun et chacune d’entre nous de choisir de l’adopter ou non. » (...)
Dominique Rousseau ne croit pas vraiment en cette volonté d’éloigner les élus et prend pour témoin la récente tentative de constituante au Chili. En 2021, un processus ambitieux s’y est déroulé, dans lequel 155 citoyens composaient une assemblée paritaire chargée de rédiger une nouvelle Constitution. Cette dernière a été largement rejetée par référendum avec 62% de voix contre.
« Si vous excluez les élus, vous excluez ceux qui ont la pratique des institutions, ceux qui ont réfléchi aux institutions par leur travail, ajoute le constitutionnaliste. Il faut que le processus constituant qui va définir les principes du vivre ensemble soit le plus inclusif possible. »
Une VIe République, pour quoi faire ? (...)
D’après un sondage commandé par Public Sénat et réalisé par l’institut Odoxa, 56% des Français souhaitent mettre fin à la République actuelle.
Pour Aïssa Ghalmi, membre du bureau exécutif des Écologistes en charge des projets, la cause de cette aversion est toute trouvée : la concentration du pouvoir autour du président. (...)
Dominique Rousseau, lui, propose depuis longtemps de faire entrer la République dans « une logique parlementaire ou primo-ministérielle ». À l’image de l’Allemagne, le rôle du président de la République serait alors essentiellement représentatif. Il serait question de « faire glisser les regards de l’Élysée à Matignon », explique le constitutionnaliste (...)
« Pourquoi s’en contenter ? », répond Clément Viktorovitch. Le rhétoricien pousse l’idée d’une République participative ou délibérative, dans laquelle le peuple aurait l’initiative. « Nous devrions nous tourner vers un régime qui donnerait aux citoyens le rôle capital de contributeur et non celui de simple électeur », assure-t-il.
Sa proposition comprend la coexistence d’une Assemblée nationale élue, telle qu’on la connaît aujourd’hui, et d’un Sénat composé de citoyens tirés au sort qui effectueraient à leur tour un mandat parlementaire. (...)
Peut-on vraiment envisager la constituante ?
« Nous réfléchissons encore au véhicule législatif à emprunter pour porter notre projet », confie Aïssa Ghalmi. Les Écologistes hésitent entre l’article 11 et l’article 89. Dominique Rousseau tue l’idée dans l’œuf et rappelle qu’aucun de ces deux chemins ne prévoit l’écriture d’une nouvelle Constitution. (...)
Dominique Rousseau l’affirme : « La réécriture complète d’une nouvelle Constitution n’intervient qu’après une crise profonde : une révolution, une défaite militaire ou une insurrection. » (...) (...)
Qu’il s’agisse d’écrire une nouvelle Constitution ou de réviser l’actuelle, le projet devra de toute manière obtenir l’aval d’Emmanuel Macron. Clément Viktorovitch ne se berce pas d’illusions quant à la volonté du président de changer la Ve. Il entretient tout de même une lueur d’espoir, en pariant sur l’ego du personnage. (...)