
Après avoir témoigné vendredi contre l’un des trois accusés, un réfugié syrien a reçu la visite de deux individus chez lui. Ils lui ont annoncé qu’il allait « payer » pour avoir parlé. Le Parquet national antiterroriste s’est saisi de l’affaire.
Ahmed A. S. vit quelque part en France. Pour des raisons de sécurité, ce réfugié syrien âgé de 61 ans réduit les interactions avec ses voisins au strict minimum.
Il est 7 h 35 du matin, dimanche 16 mars, quand on sonne à la porte. Ahmed A. S. ouvre. Deux jeunes hommes dans la vingtaine lui font face. (...)
« T’as fais une grosse erreur d’être parti à Paris vendredi après-midi et tu vas payer pour ! »
Le premier embraie en pointant Ahmed A. S. du doigt : « Tu as fait quelque chose de dangereux, de pas bon, tu vas être jugé, tu vas payer ! » Le second conclut : « Tu vas être puni ! » Leurs menaces proférées, les deux inconnus s’en vont par deux escaliers différents.
Ahmed A. S. referme la porte et pousse ses verrous. Puis se précipite aux toilettes pour vomir. Après quelques instants de réflexion, il appelle la police. Cinq heures plus tard, après un passage à l’hôpital, il dépose plainte, raconte les faits, explique être un anonyme au milieu des cent huit appartements de son immeuble. « Je n’ai aucun ami, mes amis ce sont les livres, les cahiers et le crayon. J’écris. »
Il a bien témoigné dans le cadre d’un procès vendredi 14 mars, après que des forces de l’ordre sont venues le chercher sur son lieu de travail, mais, précise-t-il à l’audience, « quand on [lui] a demandé où [il] habitai[t], [il a] juste dit dans le Nord, c’est tout ».
« Contre qui avez-vous témoigné vendredi ?, lui demande le gardien de la paix qui recueille sa plainte.
— Ils étaient à trois dans le box, mais je n’ai témoigné que contre Kaïs al-Abdallah.
— Est-ce que cet individu vous connaît ?
— Oui, même s’il a dit le contraire au tribunal. »
Alors qu’il s’achemine vers sa fin, le procès des geôliers de l’État islamique (EI) vient de connaître un nouveau rebondissement, qui pourrait avoir de lourdes conséquences judiciaires sur l’un des trois accusés qui encourait le moins et avait jusqu’ici le moins fait parler de lui. (...)
Kaïs al-Abdallah, un Syrien de 41 ans, n’encourt « que » vingt années de réclusion criminelle. Suspecté d’être impliqué dans l’enlèvement de deux des journalistes français, Nicolas Hénin et Pierre Torres, la chambre de l’instruction lui a pourtant accordé un non-lieu pour l’infraction de « complicité d’enlèvement terroriste » (passible de la réclusion criminelle à perpétuité) : il n’est renvoyé que pour « association de malfaiteurs terroriste » (passible de vingt ans de réclusion au moment des faits).
Kaïs al-Abdallah présente un profil et un parcours atypiques dans l’histoire récente des procès terroristes. Étudiant en chimie avant la révolution syrienne, il avait obtenu le statut de réfugié à l’automne 2015 en Allemagne, où il avait repris des études de chimie. (...)
Dans le courant du vendredi après-midi, Ahmed A. S. s’est présenté à la barre des témoins. Lui qui ne voulait pas apparaître par peur de représailles a témoigné durant cinq heures. D’après des sources judiciaires présentes à l’audience cet après-midi-là, le témoin a confirmé tout ce qu’il avait dit au cours de l’information judiciaire, ce qui était déjà accablant pour Kaïs al-Abdallah.
Ahmed A. S., professeur des écoles venu d’une famille d’opposants à Bachar al-Assad, s’était vu confier une mission pour archiver les exactions de l’État islamique naissant, ce qui lui avait valu d’être arrêté en juillet 2013 par des membres de l’organisation terroriste qui l’avaient emprisonné et torturé durant plus d’un mois. (...)
cet épisode crédibilise les témoignages d’Ahmed A. S. et de plusieurs autres Syriens ayant raconté la dangerosité supposée de l’étudiant en chimie et la peur qu’il leur inspirait. La famille d’un autre témoin ayant déjà reçu, selon ses dires, des menaces en Syrie.