
Pendant des siècles, le progrès technologique a reposé sur l’idée que chaque innovation allait simplifier notre quotidien sans coût invisible. Mais l’essor fulgurant de l’intelligence artificielle redistribue les cartes. Derrière la fluidité apparente des chatbots, une infrastructure massive et énergivore se met en marche à chaque requête. Dès leur phase de conception, ces systèmes mobilisent une puissance de calcul telle qu’elle interroge nos équilibres écologiques. La consommation énergétique de l’IA devient alors un enjeu aussi technique que politique, trop souvent relégué à l’arrière-plan.
Pourquoi l’IA générative est si énergivore dès sa conception
Dès les premières lignes de code, les modèles d’intelligence artificielle se montrent voraces. Le processus d’apprentissage exige des quantités gigantesques de données, de serveurs et surtout d’électricité. Un seul modèle comme GPT-4 a mobilisé près de 50 gigawattheures pour son entraînement initial, ce qui équivaut à l’alimentation électrique de San Francisco pendant trois jours selon les estimations du chercheur Alex de Vries-Gao, spécialiste de la durabilité numérique à la Vrije Universiteit Amsterdam relayé par Live Science.
La puissance de calcul nécessaire ne tient plus dans une simple machine. Il faut coordonner des centaines de processeurs graphiques répartis sur des grappes de serveurs pendant plusieurs semaines, voire des mois. Ces infrastructures ultra-denses, localisées dans des centres de données refroidis en permanence, constituent le cœur énergétique de l’IA. Selon les données publiées dans la revue Joule, le modèle BLOOM a consommé à lui seul 433 MWh pour son entraînement, tandis que GPT-3 a nécessité près de trois fois plus d’énergie.
Cet appétit insatiable n’est pas le fruit du hasard. Les chercheurs misent depuis des années sur l’idée que plus un modèle est grand, plus ses prédictions seront précises. (...)
Cette course à la taille pousse les limites du matériel et tire les besoins énergétiques vers le haut, bien au-delà de ceux des systèmes numériques classiques. (...)
La consommation énergétique de l’IA redéfinit les équilibres écologiques mondiaux
Une fois entraînés, les modèles ne se reposent pas. Chaque interaction avec un utilisateur déclenche une opération dite d’inférence, où l’IA génère une réponse en s’appuyant sur ce qu’elle a appris. À l’échelle individuelle, la dépense énergétique peut sembler modeste. Mais avec plus de 2,5 milliards de requêtes quotidiennes rien que pour ChatGPT selon OpenAI, l’addition devient vertigineuse. (...)
L’hypothèse d’une IA intégrée à chaque moteur de recherche ou assistant vocal dessine des scénarios encore plus critiques. (...)
Or, même les industriels concernés peinent à évaluer précisément leur propre empreinte. Google, Microsoft ou Meta communiquent peu sur leurs chiffres réels, rendant difficile toute modélisation fiable du coût environnemental global.
Quels leviers pour demain ?
Face à cette trajectoire insoutenable, chercheurs et ingénieurs multiplient les pistes pour alléger la facture énergétique de l’intelligence artificielle. Des modèles plus légers, comme GLaM de Google, ont montré qu’il était possible de réduire significativement la consommation tout en augmentant le nombre de paramètres. Cet exemple suggère que des progrès algorithmiques peuvent limiter l’usage de ressources sans freiner les performances.
D’autres solutions émergent, à commencer par l’optimisation de l’inférence, souvent négligée par les chercheurs. Cette phase représenterait pourtant jusqu’à 60% de la consommation liée à l’IA chez Google entre 2019 et 2021. Une meilleure gestion des requêtes, une mutualisation des calculs ou le développement d’outils open source plus sobres pourraient faire la différence.
Mais les gains d’efficacité technique se heurtent à un phénomène bien connu. Plus une technologie devient efficace, plus elle est utilisée. Ce paradoxe, identifié dès le XIXe siècle par l’économiste William Jevons, s’applique parfaitement à l’IA. À mesure que les modèles deviennent moins énergivores, ils attirent plus d’utilisateurs.
Limiter la consommation énergétique de l’IA ne relève donc pas uniquement d’une amélioration technique. Cela suppose aussi de s’interroger sur l’usage que nous faisons de ces outils. Faut-il vraiment mobiliser des kilowatts pour chaque résumé d’email ou chaque image générée automatiquement ? La véritable sobriété algorithmique commencera peut-être le jour où cette question deviendra centrale dans nos choix numériques.