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Reporterre
Un groupe minier français détruit un désert unique au Sénégal
#Senegal #mines #desert #Eramet
Article mis en ligne le 18 janvier 2025
dernière modification le 15 janvier 2025

Dépossession des terres, destruction de l’environnement, épuisement des ressources en eau... Au Sénégal, une filiale du groupe minier français Eramet suscite la colère des habitants.

(...) Détenue à 90 % par Eramet et à 10 % par l’État du Sénégal, GCO a le contrôle, au moins jusqu’en 2029, d’une concession minière qui couvre 445 000 hectares et s’étend sur 100 kilomètres le long du littoral. Dans cette région de dunes, riche en sables minéralisés, elle extrait depuis dix ans du zircon (dont Eramet assure être le quatrième producteur mondial grâce à sa filiale sénégalaise) et d’autres minerais (rutile, ilménite, leucoxène) utilisés par diverses industries (bâtiment, nucléaire…). Elle est partie du village de Diogo, progressant lentement vers le nord, pour arriver en 2023 environ 20 kilomètres plus loin, dans les environs de Lompoul village, où elle se trouve toujours. (...)

Les moyens techniques qu’elle déploie sont gigantesques : pour traiter des milliers de tonnes de sable par jour, elle fait serpenter une immense drague reliée à une usine qui flotte sur un bassin artificiel. Depuis quelques mois, elle utilise aussi une unité d’extraction minière sèche.

Le périmètre que GCO a déjà exploité apparaît sur des images satellites sous la forme d’une longue étendue blanche, sans végétation. Auparavant, cet espace était occupé par des cultures vivrières (...)

plusieurs milliers de personnes ont dû abandonner leur village ou hameau pour laisser la place à la mine et être relogés dans des « sites de recasement ». Auparavant installés en bordure de l’océan, les habitants des villages de Foth et Diourmel se retrouvent aujourd’hui 20 kilomètres plus loin, à l’intérieur des terres, dans des petites maisons identiques, collées les unes aux autres, souvent trop exiguës pour accueillir décemment tous les membres de leur famille. (...)

Des terres « lessivées »

Autour de Lompoul village, le paysage a été transformé, dit Pape Sarr, membre d’un collectif de personnes affectées par les activités de GCO. « Vous voyez cette immense dune ? Elle n’existait pas il y a six mois. C’est GCO, dont l’usine flottante est passée ici, qui l’a créée. Le terrain était auparavant plat, favorable aux activités agricoles. Ils ont tout détruit », détaille-t-il. (...)

Multitudes d’arbres arrachés, montagnes de sable retournées au bulldozer dans un bruit assourdissant : GCO s’affaire actuellement dans le désert de Lompoul, une zone de 300 hectares de dunes brunes située à 3 kilomètres du village éponyme. Sous l’action de ses énormes engins, ce lieu unique au Sénégal, prisé par les réalisateurs de cinéma et les touristes qui venaient y dormir dans des tentes aménagées, est en train de disparaître.

« Notre écosystème est en train d’être détruit »

Peu importe qu’il y ait encore sur place un opérateur touristique, l’Écolodge de Lompoul, en attente d’un accord sur le montant de son indemnisation avant son départ : GCO continue d’avancer, sa drague et son usine flottante ne sont désormais qu’à quelques centaines de mètres du campement d’Écolodge, de sa trentaine d’employés et de ses clients, horrifiés.

GCO dit « restaurer » des secteurs qu’elle a exploités en replantant des arbres, mais il faudra « plusieurs décennies pour remettre en état les terres qu’elle a complètement lessivées », s’indigne Gora Gaye auprès de Reporterre, rappelant combien les Niayes sont fragiles.

Le Collectif de défense des Niayes, un groupe de ressortissants de la zone, partage ses préoccupations. (...)

Tous s’inquiètent pour les ressources en eau : les maraîchers qui ont encore des champs constatent des perturbations hydriques. Des puits sont à sec, comme si la nappe de surface avait disparu. « Sur certains sites, pour trouver de l’eau en quantité suffisante, il faut désormais creuser à 50 ou 70 mètres, au lieu de 15 ou 20 mètres auparavant », explique Julien Potron, un entrepreneur spécialisé dans l’installation de pompes solaires.

Comme d’autres, il est convaincu que GCO, qui utilise des milliards de m3 d’eau, est responsable de la situation (...)

« GCO nous a tout pris »

Au bout du compte, on assiste à un appauvrissement environnemental, mais aussi social et économique, explique Ousmane Sow, chef de village à Lompoul village. Les femmes qui vendaient des souvenirs aux touristes attirés par le désert sont désormais désœuvrées et sans revenus, tout comme les employés des six entreprises touristiques dont les lodges ont été avalés par la mine et les paysans qui n’ont plus de terres.

« Les jeunes partent. Certains empruntent les filières de l’émigration clandestine, un phénomène nouveau ici », assurent plusieurs habitants. (...)

« [GCO] nous a tout pris : nos terres, nos cultures, nos traditions, notre désert, nos activités de subsistance, notre dignité », a résumé Gora Gaye lors d’une conférence de presse. (...)

« Complicité » des autorités

Ces dernières années, les médias sénégalais ont rendu régulièrement compte du désarroi des populations locales. Mais cela n’a eu aucun effet : GCO n’a pas changé ses méthodes et l’administration sénégalaise a continué à la soutenir. Aujourd’hui, Gora Gaye et d’autres accusent publiquement les autorités locales de « complicité » avec l’entreprise française.

Il est vrai que cette dernière veille à entretenir de bonnes relations avec les administrateurs et élus. Dans les rapports de 2022 et 2023 de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), elle indique avoir versé, à titre de « paiements sociaux volontaires » et pour des « appuis divers », des centaines de milliers de francs CFA à des préfets, sous-préfets, chefs de village, maires, gendarmeries, etc. Contacté par Reporterre, le groupe Eramet n’a pas réagi à la question de savoir si ces versements étaient en conformité avec sa charte éthique. (...)

trois députés de Pastef se sont mobilisés ces dernières semaines, demandant la création d’une commission d’enquête parlementaire et plaidant pour l’instauration d’un moratoire sur les activités de GCO afin d’évaluer les dommages et revoir éventuellement son contrat avec l’État. « Si le gouvernement ne réagit pas, nous bloquerons l’entreprise ; elle ne pourra plus progresser », avertit Gora Gaye.