
Pour étudier en profondeur la rivalité qui structure le monde, nous publions chaque semaine un nouvel épisode de notre série au long cours « Capitalismes politiques en guerre ». (...)
Sous Trump d’abord, sous Biden ensuite, la position du gouvernement américain à l’égard du commerce international a clairement évolué vers le protectionnisme. Cette nouvelle attitude américaine — sceptique à l’égard de la libéralisation des échanges et de l’idée que ces derniers auraient un effet mutuellement bénéfique — avait abîmé les relations de Washington avec ses alliés occidentaux sous Trump. Elles restent endommagées sous Biden.
Si Trump l’emporte en novembre, son nouveau mandat pourrait ouvrir la voie à une escalade des politiques protectionnistes qui nuirait à la coopération, aux échanges et au système commercial mondial fondé sur des règles. Les mesures protectionnistes de Trump et la poursuite de la plupart d’entre elles sous l’administration Biden forment d’ores et déjà la matrice de la politique commerciale américaine après les élections de 2024. (...)
Trump et la guerre commerciale de 2018-2019
La principale attaque de l’administration Trump contre le commerce international a pris la forme des droits de douane.
S’appuyant sur des dispositions législatives prévoyant la possibilité pour le président de prendre des mesures en cas d’importations menaçant la sécurité nationale, il a imposé ou augmenté les droits sur un vaste ensemble de biens, depuis les panneaux solaires et les machines à laver, l’acier et l’aluminium, jusqu’à un large éventail de produits chinois. (...)
le choix de faire cavalier seul dans la confrontation — largement en dehors du système multilatéral de différends — constituait une nette rupture avec les efforts passés des États-Unis pour travailler avec l’Europe afin de conserver et de façonner un système commercial mondial à leur avantage. (...)
La hausse des droits de douanes entraîna à la fois une hausse des prix des intrants pour les entreprises américaines — en particulier les industries manufacturières — et une hausse des prix de détail pour les consommateurs américains, ainsi qu’une perte de chiffre d’affaires pour les exportateurs américains. (...)
En conséquence, les Américains ont connu une hausse des coûts, une baisse des revenus, une réduction de l’emploi — y compris dans le secteur manufacturier — et une production nette en baisse — même en tenant compte des avantages accordés aux producteurs protégés.
Dans ce contexte de guerre commerciale, l’attention s’est largement portée sur les relations entre la Chine et les États-Unis. Depuis que les droits de douane ont été imposés, les importations américaines de biens produits en Chine ont globalement chuté, cependant, la baisse s’est concentrée sur les produits soumis à des droits de douane et les importations de certaines catégories de produits non couverts par ces droits ont augmenté3. Surtout, cela ne s’est pas traduit par un changement significatif dans le solde de la balance commerciale des États-Unis (...)
La guerre commerciale n’a pas non plus conduit à l’adoption de meilleures pratiques commerciales, ni à une diminution des subventions publiques de la Chine. (...)
Même si Pékin reste la principale cible de ces tarifs, les relations transatlantiques n’ont pas été épargnées par la guerre commerciale. Des droits de douane sur l’acier et l’aluminium pour motif de sécurité nationale s’appliquaient aux importations de métaux en provenance de l’Union européenne et d’autres pays amis — notamment le Japon, le Royaume-Uni, le Canada et le Mexique. Le choix des États-Unis d’affronter unilatéralement la Chine a accru les tensions transatlantiques.
Les partenaires commerciaux des États-Unis ont réagi à chaque série de droits de douane américains. En représailles, ce sont environ 100 milliards de dollars d’exportations américaines qui se sont retrouvées face à des barrières tarifaires plus élevées. Les producteurs agricoles américains, en particulier, se sont retrouvés durement touchés par les mesures de rétorsion, subissant ainsi des pertes directes à l’exportation se chiffrant en milliards (...)
Biden et la poursuite de la guerre commerciale
La plupart des droits de douanes imposés sous l’administration Trump ont été consolidés sous l’administration Biden (...)
Les estimations de la Tax Foundation prévoient que les droits de douane encore en vigueur réduiront à long terme la production américaine de 0,21 %, les salaires de 0,14 % et l’emploi de 166 000 équivalents temps plein. (...)
En outre, Biden a en réalité accéléré le tournant protectionniste par d’autres moyens : en augmentant les barrières non tarifaires et en imitant les politiques industrielles de la Chine. (...)
Une tendance constante vers le protectionnisme sous les deux administrations est passée en partie sous les radars : l’échec du leadership américain à l’Organisation mondiale du commerce4. En bloquant la nomination des juges des instances d’appel, l’administration Trump a vidé de son sens le processus de règlement des différends, qui constitue le fondement du système commercial international. Depuis, l’administration Biden n’a pas réussi à restaurer le fonctionnement de l’OMC. Elle n’a pas décidé de négocier de nouveaux accords commerciaux. (...)
Le scénario Trump : des États-Unis toujours plus protectionnistes
Si l’on se projette, il est peu probable que l’ordre commerce international prospère sous l’un ou l’autre des deux principaux candidats à l’élection de novembre 2024. Mais la situation serait probablement pire sous un nouveau mandat Trump que sous une administration Biden (...)
Le protectionnisme et les mesures de représailles américaines affectent l’Europe
Même si l’essentiel de l’argumentation de Trump se concentre sur les relations commerciales avec la Chine, l’Union ne sera probablement pas épargnée par des mesures de rétorsion contre ses taxes sur les services numériques, le tarif universel de 10 % ou la pression croissante pour choisir un camp dans le conflit américano-chinois. En effet, la plupart des partenaires commerciaux en Europe prévoient que si Trump remporte les élections de 2024, les relations transatlantiques seront perturbées sur de nombreux fronts, notamment par l’adoption par les États-Unis d’une ligne dure en matière commerciale et le déclenchement de nouvelles guerres commerciales (...)
La poursuite de la guerre commerciale sous Biden — ou son escalade sous Trump — augmenteront également la pression sur l’Union, l’obligeant en plusieurs matières à choisir un camp entre la Chine ou les États-Unis. Le dilemme n’est pas seulement externe. Au niveau interne, l’Union doit choisir entre maintenir le libre-échange à l’intérieur et conserver la protection à l’extérieur — par exemple en restreignant les aides d’État mais en imposant le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ou en assouplissant les règles internes en matière d’aides d’État pour suivre les exemples chinois et américain avec des politiques protectionnistes pour créer « des champions nationaux », ce qui menace de laisser derrière eux les États membres qui n’ont pas la flexibilité budgétaire nécessaire pour se permettre le protectionnisme.
Il vaudrait mieux pour le monde entier que les États-Unis abandonnent la guerre commerciale, rétablissent le fonctionnement de l’OMC et travaillent de manière multilatérale pour lutter contre les pratiques déloyales et discriminatoires partout où elles peuvent se produire — et que tous les pays renoncent au retour au protectionnisme. Mais telle n’est pas la vision internationale en matière de fiscalité ou de commerce proposée par l’un ou l’autre des principaux candidats à la présidentielle américaine. Or sans ce leadership américain, une telle issue est peu probable. (...)
La première guerre commerciale de avait deux buts : stimuler l’industrie manufacturière américaine et réduire le déséquilibre commercial. Les deux ont échoué. Les Américains ont presque exclusivement payé les droits de douane imposés par les États-Unis sur près de 380 milliards de dollars d’importations. Les entreprises furent confrontées à des coûts plus élevés — ce qui a encore dégradé leur compétitivité internationale. Les gouvernements étrangers ont riposté en imposant des droits de douane sur les exportations américaines et, pendant un certain temps, la Chine a même complètement interrompu ses achats de produits agricoles. L’administration Biden n’a pas réussi à mettre fin à la guerre commerciale, choisissant plutôt de maintenir la grande majorité des droits de douanes de Trump, dont les coûts ne cessent de s’accumuler.
La voie à suivre devrait être celle qui renoue avec le consensus bien établi selon lequel le libre-échange, même s’il comporte des coûts, apporte bien plus de prospérité et de coopération au monde que l’alternative proposée. Malheureusement, la transition de la coopération et du multilatéralisme vers le protectionnisme et l’unilatéralisme va probablement se poursuivre à un rythme soutenu. Si Trump revient au pouvoir, il y a peu de doute qu’elle pourrait même s’accélérer.