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"Tout le monde veut une vie meilleure, et surtout la sécurité" : un jeune Malien témoigne de son long périple jusqu’en Espagne
#Mali #Senegal #Espagne #migrants #immigration
Article mis en ligne le 16 septembre 2025
dernière modification le 12 septembre 2025

Boubacar (prénom d’emprunt) a fui les violences communautaires au Mali pour se réfugier au Sénégal voisin. Par crainte que celles-ci ne s’étendent hors du pays, il a pris la route quelques années plus tard pour le Maroc. Les agressions et attaques racistes qu’il dit y avoir subit ont ensuite poussé le jeune Malien de 22 ans à rejoindre les îles Canaries par la mer en début d’année. Désormais à Tarragone sur le continent, il attend avec inquiétude une réponse à sa demande d’asile. Témoignage.

"Dans mon village au Mali, il y a des violences depuis des siècles entre les communautés à cause du système des castes. Celle des serviteurs, à laquelle ma famille appartient, doit servir et travailler pour la caste des nobles. Jusqu’à aujourd’hui, il y a des révoltes contre cet esclavage. C’est à cause de ces conflits que j’ai quitté le village vers 12 ans, pour être en sécurité. Tous ces problèmes empêchent aussi l’éducation des jeunes là-bas.

Bien qu’illégal au Mali, le système des castes - qui régit et définit les rôles sociaux- perdure et génère stigmatisations, violences, violations des droits et provoque même des décès. Le jeune garçon, d’ethnie mandingue, va vivre huit ans au Sénégal, pays frontalier du Mali, chez son oncle pour éviter les violences récurrentes de son village. En 2023, devenu jeune adulte, il prend le bus pour rentrer au Mali, désireux de retrouver son père ainsi que son frère et sa sœur.

Quand je suis rentré fin 2023 - début 2024, j’ai découvert que mon frère avait fui le pays car il était menacé et recherché par la famille de la fille dont il était tombé amoureux. Au village, on ne peut pas se marier avec quelqu’un qui n’est pas de sa caste. J’avais peur des représailles contre notre famille et contre moi-même alors j’ai préféré repartir. Comme le Sénégal est tout près de mon village, j’avais peur qu’ils me retrouvent. Je voulais fuir loin".
"Ils nous dépouillent de notre argent et de tous nos biens"

Boubacar prend un bus depuis le Sénégal pour rejoindre le Maroc avec l’argent de poche donné par son oncle. À l’été 2024, il s’installe dans la ville de Tan-Tan, dans le sud du Maroc, où beaucoup d’Africains travaillent dans les champs.

J’ai travaillé pendant sept mois à récolter les framboises, les tomates et les courgettes. On était mal payé et moins bien que les Marocains. (...)

On a subi beaucoup d’agressions de la part des Marocains. Ils nous dépouillaient de notre argent, de nos téléphones. Ils nous prenaient tous nos biens. Je dormais mal car j’avais peur, je n’osais pas sortir. Même au travail, il y avait des agressions. Ils sont très racistes alors qu’on est tous Africains.

Je voulais rester au Maroc mais à cause de toutes ces difficultés et de ce racisme qu’on a vécu, ça m’a poussé à vouloir aller en Espagne. Je connaissais peu de choses de ce pays, je savais que c’était en Europe et que les droits humains sont respectés. Là-bas, on est en sécurité même quand on n’a pas de travail ou d’argent. Tout le monde veut une vie meilleure, et surtout la sécurité. (...)

Durant le trajet, la corde au milieu s’est coupée et l’eau a commencé à rentrer dans le bateau. On a paniqué, la plupart des passagers demandaient à faire demi-tour. Tout ce qu’on voulait, c’était quitter l’Atlantique. Des pères de famille ont réussi à calmer tout le monde et on a tenu la corde à la main pour ne pas couler. Au loin il y avait de gros bateaux mais on ne pouvait pas les rejoindre. Quand l’essence a fini par se terminer à 5 heures du matin, on a laissé les vagues faire dériver le canot.

Boubacar, et ses compagnons d’infortune, a été secouru quelques heures plus tard à 80 km des côtes de l’archipel des Canaries. Les passagers sont finalement débarqués sur l’île de Lanzarote aux alentours de midi, le 5 janvier 2025. (...)

"J’étais très fatigué et choqué"

Quand on est arrivé sur l’ile, la Croix-Rouge s’est occupée de nous : on a eu des habits et des chaussures, on a été ausculté et enregistré. On avait tous de la fièvre à cause du soleil qui tapait et plusieurs se sont évanouis à l’arrivée. J’avais très très soif.

Je suis resté trois jours dans un centre. Je ne pouvais pas manger, je ne buvais que des jus car j’étais très fatigué et choqué par cette traversée.

J’ai ensuite été transféré vers le centre d’Alcala de Henares, à Madrid.

Boubacar y restera quatre mois, du 8 janvier au 15 avril. C’est à ce moment-là qu’il dépose sa demande d’asile, pour motif de persécutions dans son pays natal. Trois mois après son arrivée en Espagne, sa demande est finalement enregistrée. Il attend désormais une réponse et espère obtenir un titre de séjour. (...)

"De très longues journées"

Le jeune Malien est ensuite déplacé dans un hôtel géré par la Croix-Rouge, à Tarragone, dans le nord-est de l’Espagne. Une centaine d’autres migrants - des Vénézuéliens, des Sénégalais, des Mauritaniens... - y résident également. Le logement, les repas et l’aide administrative pour les dépôts de dossiers de demande d’asile ou de protection subsidiaire sont assurés par l’association, qui n’est pas présente en continu dans les locaux. Boubacar vit avec cinq Maliens. (...)

Depuis quelques semaines, j’ai commencé des cours d’espagnol : c’est très intéressant et utile car je veux rester en Espagne. On est là donc il faut parler la langue d’ici pour pouvoir vite s’intégrer.

Parfois, je suis stressé d’attendre la réponse à ma demande d’asile. J’essaye de penser à autre chose mais comme je ne fais pas grand chose, je pense beaucoup à comment ça va aller, si je vais être aidé… C’est compliqué. Rester longtemps dans un hôtel est très stressant comme situation. L’esprit n’est pas tranquille. Mais je garde l’espoir et quand mon moral est bas, je me dis que je dois patienter.

J’aimerais faire une formation en soudure. Plus tard, je voudrais avoir la nationalité, vivre en Espagne comme chez moi. Ce que j’aime le plus ici, c’est qu’on écoute les gens, qu’on ne les juge pas gratuitement sur leur couleur de peau ou leur ethnie, mais plutôt sur leur comportement.