
Des réservistes israéliens démobilisés après avoir combattu dans l’enclave palestinienne dénoncent l’absence quasi totale de règles d’engagement. Les soldats tirant à leur guise sur tout ce qui bouge, détruisant des immeubles et laissant derrière eux des rues jonchées de cadavres. Et ce, avec l’autorisation implicite de leurs supérieurs, raconte le média israélien “Siha Mekomit”.
Le 12 juin dernier, [la chaîne panarabe] Al-Jazeera diffusait des images d’exécutions sommaires présumées de Palestiniens, apparemment désarmés, par des soldats israéliens sur une plage de la bande de Gaza.
De telles images sont rares, en raison des contraintes strictes imposées par Tsahal [acronyme en hébreu désignant l’armée israélienne] aux journalistes israéliens et étrangers et aussi du danger encouru par la presse dans l’enclave assiégée.
Ces images concordent avec les témoignages de six réservistes israéliens recueillis après leur démobilisation. Corroborant les déclarations de médecins palestiniens indépendants, ces soldats affirment qu’ils étaient autorisés à ouvrir le feu contre des civils palestiniens sans restriction aucune.
Des cadavres livrés aux animaux errants
Ces six témoins, dont un seul n’a pas demandé l’anonymat, racontent comment les soldats israéliens exécutent des civils palestiniens simplement parce que ces derniers entrent dans une zone que l’armée a unilatéralement et sans avertissement suffisant décrétée comme interdite.
Les témoignages brossent, entre autres, le portrait d’un paysage jonché de cadavres exposés à la rapacité d’animaux errants. Tsahal se contente de les dissimuler dès qu’elle sait que des convois humanitaires internationaux vont arriver, “afin que les images de cadavres de Palestiniens à un stade avancé de décomposition ne ressortent pas”.
Deux soldats évoquent également une politique systématique consistant à incendier des immeubles palestiniens après y avoir séjourné.
Les témoignages de ces soldats soulignent par ailleurs que leurs officiers les autorisent à tirer sans aucune retenue et à “se défouler” pour tuer leur ennui. “Les gars veulent vivre l’événement [pleinement]”, souligne S., un réserviste qui a servi dans le nord de la bande de Gaza.
“J’ai moi-même tiré dans tous les sens et sans raison aucune dans la mer, sur des trottoirs, contre des immeubles abandonnés et sur des Palestiniens présents au mauvais moment et au mauvais endroit”.
Dans le jargon de Tsahal, on appelle ça : “Je m’emmerde, alors je tire.”
“Les directives sont quasi inexistantes” (...)
En plus d’avoir causé la mort de plus de 38 000 Palestiniens, “la quasi-inexistence de directives est également responsable du nombre élevé de soldats tués par des ‘tirs amis’ depuis le 7 octobre 2023”.
Le soldat B. explique qu’à Gaza, “il est difficile de distinguer les civils des miliciens du Hamas”, ces derniers “se promenant souvent sans leurs armes”. (...)
Et M., de poursuivre : “En l’absence d’ordres formels, de nombreux soldats sur le terrain se vengent [du 7 octobre] et se font ‘justice’ eux-mêmes, sans que l’échelon supérieur de l’armée ne juge bon d’intervenir.”
“Comme un jeu vidéo” (...)
“Ils m’ont parlé d’une pratique consistant à faire sauter des tunnels et je me suis dit que s’il y avait des otages [à l’intérieur], cela les tuerait, ce qui m’a valu plusieurs rappels à l’ordre.” (...) (...)
“L’état d’esprit se résume par ‘d’abord tirer, ensuite penser’. Le consensus implicite est que personne ne versera une larme si nous rasons, même sans raison aucune, tout un immeuble palestinien.”
A. continue en affirmant avoir vu des images capturées par des drones israéliens. “De temps en temps, un bâtiment s’effondre, mais on n’entend rien, c’est juste une image. Le sentiment est ‘wow, c’est dingue, quel pied !’ Même moi, qui suis plutôt situé à gauche, j’ai très vite oublié qu’il s’agissait de vrais immeubles avec de vrais habitants à l’intérieur. C’était comme un jeu vidéo. Il m’a fallu deux grosses semaines avant d’admettre que c’étaient de vrais bâtiments qui s’effondraient et ensevelissaient de vrais civils.” (...)
Le mois dernier, Guy Zaken, un soldat qui conduisait un bulldozer D9 à Gaza, a déclaré devant une commission parlementaire de la Knesset que lui et son unité avaient, littéralement, “aplati des centaines de terroristes supposés, morts ou vivants”. Aucun député n’a bronché. Mais un soldat de son unité de bulldozers s’est suicidé par la suite. (...)
La routine des immeubles pillés, brûlés et détruits (...)
“Nous avons anéanti tout ce qu’il était possible d’anéantir.”
“Pas par simple nécessité de nous défendre, mais par un pur désir de vengeance et une indifférence totale envers tout ce qui est palestinien. Je n’oublierai jamais à quelle vitesse des quartiers entiers, pleins de vie et presque bucoliques peuvent être réduits en amas de sable.”