
De l’Italie aux États-Unis, nombre de pays, pressés par les contraintes budgétaires et inquiets des risques d’instabilité financière et politique créés par les inégalités, entendent taxer les plus grandes fortunes. Un seul village résiste à ce changement d’époque : la France.
Personne n’aurait parié que Giorgia Meloni oserait présenter une telle mesure, si éloignée de ses références politiques. Début août, la présidente du Conseil italien a annoncé son intention de taxer – un peu – les riches. Alors que l’Italie, comme la France, est sous le coup d’une procédure européenne pour déficit excessif, le gouvernement, dans le cadre de son prochain budget, se propose de doubler l’impôt forfaitaire sur les revenus étrangers des grandes fortunes venant s’installer dans le pays : de 100 000 euros, il est appelé à passer à 200 000 euros, quel que soit le niveau du patrimoine.
La mesure est assez symbolique. Mais elle constitue un revirement certain, tout comme le discours politique qui l’a accompagné. (...)
À l’autre bout de l’échiquier politique, le nouveau gouvernement travailliste britannique envisage d’emprunter le même chemin. Dès sa nomination, le premier ministre, Keir Starmer, a lancé un audit sur les comptes publics. Le résultat est désastreux (...)
Rachel Reeves, n’a pas caché ses intentions : cette fois-ci, le gouvernement n’allait pas à nouveau se contenter de faire des économies sur les budgets sociaux et sur les ménages, les grandes fortunes seraient aussi mises à contribution. Promettant ainsi de donner un coup d’arrêt à la politique, vieille de plus de quarante ans, en faveur des plus riches. (...)
La réaction a été immédiate. Tous les intéressés agitent déjà la menace de la concurrence fiscale : Singapour, Dubaï ou Abou Dabi, qui sont devenus les nouveaux paradis fiscaux des milliardaires – et désormais les plaques tournantes de l’argent sale dans le monde – ne rêvent que d’accueillir les grandes fortunes, font-ils déjà valoir.
Beaucoup promettent déjà une fuite éperdue des capitaux en dehors de la Grande-Bretagne, une désaffection des investisseurs à l’égard de la City, un effondrement du marché immobilier à Londres.
Le même chantage est en train de réapparaître aux États-Unis après la présentation du programme économique de Kamala Harris. (...)
En coulisses, grandes fortunes, financiers de Wall Street, conseillers en tout genre qui travaillent depuis des décennies sur l’évitement de l’impôt et la gestion discrète des grandes fortunes commencent à se mobiliser pour tuer l’idée dans l’œuf.
Instabilité financière, danger démocratique
Cette fois, cependant, ils pourraient échouer. Les dettes colossales accumulées partout dans le monde, les déficits budgétaires qui s’amplifient, les investissements gigantesques à réaliser pour mener la transition écologique, obligent les gouvernements à prendre des remèdes qui ne peuvent reposer sur les seules classes moyennes en cours d’appauvrissement accéléré. (...)
Surtout, l’accumulation sans précédent des richesses entre quelques mains, le creusement historique des inégalités, ont atteint une telle ampleur qu’ils constituent désormais une menace qui va bien au-delà de l’injustice fiscale et du consentement à l’impôt. Elle constitue un risque pour la stabilité financière et un danger démocratique que les États ne peuvent plus ignorer.
Année après année, les ONG, à l’instar d’Oxfam, Transparency International et autres, donnent à voir les chiffres toujours plus ahurissants de l’accumulation des richesses par les grandes fortunes. (...)
Les banques centrales qui ont nourri le phénomène ne peuvent se dédouaner de leurs responsabilités en invoquant leur indépendance et leur neutralité. Des milliers de milliards offshore, échappant à toute taxation, errent désormais dans la sphère financière, se déplaçant à la vitesse de la lumière, à la recherche des gains les plus faciles. Au risque de provoquer une catastrophe. (...)
Vers un impôt mondial ?
Mais au-delà, ces accumulations sans précédent de richesses entre peu de mains, porteuses de violences sociales et économiques, constituent un danger démocratique de plus en plus prégnant. (...)
ces milliardaires font déjà sentir leur poids dans les décisions gouvernementales. Si Elon Musk va bien au-delà des autres, ces derniers ne se privent pas de faire sentir tout leur pouvoir, et cela dépasse largement les jeux d’influence du lobbying. Au point que le sénateur Bernie Sanders s’en est encore récemment ému, considérant que la démocratie est en train de céder le pas devant l’oligarchie.
Cette crainte est de plus en plus partagée. En Suisse, des associations ont lancé le débat sur la création d’un impôt fédéral sur les successions : au-delà de 50 millions de francs suisses (52,5 millions d’euros), l’État prélèverait la moitié de la fortune.
La proposition doit être soumise à référendum. Le gouvernement a fait savoir qu’il était opposé au projet, qui menace sa réputation de paradis pour les grandes fortunes. Mais le sujet est loin d’être tranché, tant la population s’exaspère des passe-droits accordés aux puissants.
Le débat est devenu mondial. Lors de la dernière réunion du G20 à Rio (Brésil), les ministres des finances ont apporté leur soutien pour étudier le principe d’une taxation au niveau mondial sur les plus grandes fortunes. (...)
Un seul village résiste
Alors que l’idée d’une taxation des plus riches, au nom de l’égalité devant l’impôt, de l’équité démocratique et sociale, chemine dans nombre de pays, un seul village semble refuser tout débat sur la question, résister à tout changement : la France. (...)
Malgré son échec aux élections législatives, la position du gouvernement démissionnaire, tout comme celle d’Emmanuel Macron, n’a pas changé. De confidences en petites phrases soufflées dans l’oreille de visiteurs du soir, le président fait savoir qu’il est hors de question de changer sa politique, pourtant désavouée dans les urnes, de modifier les grands axes budgétaires fixés depuis son arrivée au pouvoir. Et c’est avec une satisfaction non dissimulée qu’il a accueilli le « pacte législatif » de la droite, posant comme impératif catégorique le refus de toute hausse de la fiscalité, de tout impôt sur la fortune (ISF). (...)
Les conséquences de cette politique sont également connues : une réduction sans précédent des recettes publiques conduisant à des déficits importants, des politiques d’austérité se traduisant par la destruction des services publics, santé et éducation en tête, des services publics et des acquis sociaux.
Même battu, le chef de l’État est plus que jamais déterminé à jouer cette concurrence fiscale internationale. Même si elle est suicidaire, même si d’autres pays, se rendant compte de leurs erreurs passées, sont en train de remettre en cause les dogmes, son choix est gagnant, selon lui : la France compte 827 000 millionnaires, selon une étude de Capgemini. Elle se classe au cinquième rang mondial pour son nombre de milliardaires.
Pendant ce temps, le pouvoir d’achat des salariés a diminué de 3 % entre 2022 et 2023. Et la France compte plus de 9 millions de ménages sous le seuil de pauvreté, son plus haut niveau depuis les années 1970.