Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
Syndrome méditerranéen : l’opératrice du Samu qui a ignoré la détresse de Naomi Musenga mise en examen
#sante #15 #racisme
Article mis en ligne le 15 janvier 2024
dernière modification le 13 janvier 2024

Six ans après le décès de Naomi Musenga, moquée par le Samu qui a refusé de la prendre en charge, l’opératrice du 15 est poursuivie pour « non-assistance à personne en danger ». Depuis, d’autres affaires ont montré la persistance de préjugés racistes au sein du corps médical.

Après six années d’instruction, la famille de Naomi Musenga espère enfin une issue judiciaire. L’opératrice du Samu qui avait ignoré la détresse de cette jeune femme noire de 22 ans résidant à Strasbourg a été mise en examen pour « non-assistance à personne en danger », a précisé vendredi à l’Agence France-Presse (AFP) la procureure de la République de Strasbourg, Yolande Renzi.

Le magistrat qui instruit l’affaire, « estimant son instruction terminée, a communiqué le dossier au parquet » de Strasbourg, qui a requis « le renvoi de [l’opératrice] devant le tribunal correctionnel [...] en décembre », ajoute le procureur. La régulatrice n’est pas encore formellement renvoyée devant un tribunal et aucune date de procès n’est fixée, mais « le réquisitoire [...] permet d’espérer » un renvoi « assez rapide, pourquoi pas d’ici la fin de l’année », a commenté à l’AFP l’avocat de la famille de Naomi Musenga, Me Jean-Christophe Coubris. (...)

À l’époque des révélations de l’enregistrement du Samu, l’indignation était unanime. Le 29 décembre 2017, Naomi Musenga souffre de violentes douleurs au ventre et contacte la police pour demander de l’aide, qui transfère son appel au Samu. Au téléphone, deux opératrices questionnent la jeune mère de famille, se moquent d’elle et refusent d’envoyer une ambulance. Les deux collègues s’amusent de la situation et minimisent. « C’est sûr qu’elle va mourir un jour, comme tout le monde », dit l’une à l’autre. L’opératrice principale prend ensuite l’appel de Naomi Musenga, qui semble souffrir et parle difficilement :

(Opératrice du Samu) « Allô ?

(Naomi Musenga) — Aidez-moi, madame.

(OS) — Oui, qu’est-ce qu’il se passe ?

(NM) — Aidez-moi.

(OS) — Bon, si vous ne me dites pas ce qu’il se passe, je raccroche.

(NM) — Je peux pas.

(OS) — Bon, vous appelez SOS Médecins !

(NM) — Je ne peux pas…

(OS) — Vous ne pouvez pas ? Vous pouvez appeler les pompiers mais vous ne pouvez pas…

(NM) — Je vais mourir…

(OS) — Oui, vous allez mourir certainement un jour, comme tout le monde… »

Naomi Musenga ne sera transférée à l’hôpital que deux heures et demie plus tard et décédera dans la foulée d’une « défaillance multiviscérale ». (...)

Depuis cette affaire, de nombreux spécialistes ont pointé du doigt le syndrôme méditerranéen, lorsque certains médecins pensent que dès qu’on est d’origine africaine, caribéenne ou maghrébine, on a tendance à exagérer la douleur ou à simuler.
Une étude et d’autres affaires accablantes

Comme l’a révélé France Inter vendredi, des chercheurs montpelliérains ont d’ailleurs mené une vaste étude publiée dans la revue internationale European Journal of Emergency Medicine montrant que les cas des femmes et des personnes noires sont jugés moins graves, pour des symptômes identiques, que ceux des hommes ou des personnes blanches. (...)

Depuis l’affaire Musenga, Mediapart a aussi révélé plusieurs affaire où des préjugés racistes ont pu expliquer une mauvaise prise en charge d’une patiente jusqu’à son décès. En mai 2022, nous révélions l’histoire de Yolande Gabriel, une Martiniquaise de 65 ans, décédée en août 2020 après avoir attendu les secours plus d’une heure. Là encore, le Samu ne l’avait pas prise au sérieux. (...)

Les enregistrements des appels au Samu et le dossier médical de la victime consultés par Mediapart montraient comment le médecin régulateur du 15 avait pu minimiser sa souffrance. Alors que la patiente, totalement essoufflée, ne cessait d’insister sur des douleurs thoraciques, le docteur s’est montré impatient et méprisant, au point de la malmener quand elle ne parlait pas suffisamment près du téléphone. Il a aussi choisi d’envoyer une simple ambulance privée, arrivée plus d’une heure après sur les lieux et ne disposant pas de tous les éléments pour gérer un arrêt respiratoire.

Si l’affaire est toujours en cours d’instruction devant la justice, l’agence régionale de santé a jugé cette prise en charge « conforme » en concédant seulement quelques « regrets ».

En décembre dernier, nous révélions cette fois-ci l’histoire d’Aïcha, 13 ans, accusée de simuler des douleurs. Intervenus pour un malaise, trois sapeurs-pompiers de Paris sont repartis en laissant l’adolescente semi-consciente. (...)

La famille a depuis déposé plainte pour « homicide involontaire » et « non-assistance à personne en danger » et souhaite désormais l’ouverture d’une information judiciaire.

Si ce syndrome est encore nié par une partie des autorités, les nombreux témoignages de patient·es et certaines études forcent à ne plus balayer l’évidence.

Interrogé en décembre par Mediapart, un responsable urgentiste parisien reconnaissait que des préjugés racistes pouvaient parfaitement « troubler la prise de décision ». (...)