
Félix Mora, sergent-recruteur des « trente glorieuses » (1/2). Entre 1960 et 1980, ce Français a écumé le sud du Maroc pour trouver les mineurs qui manquaient alors aux houillères du Nord et de Lorraine. Son nom est oublié des livres d’histoire, mais reste bien vivant dans la mémoire de dizaines de milliers de familles en France.
Une DS à sirène s’arrête net sur une piste de sable, dans le sud du Haut Atlas marocain. Elle laisse derrière elle un nuage de poussière. Sur la place du village, parfois sur un simple terrain vague à l’écart du douar, des centaines de jeunes hommes patientent en rang, torse nu, leur chemise à la main. Prévenus par le crieur ou le caïd (le chef de village), ils attendent Félix Mora, « Mogha », comme ils disent en « berbérisant » son nom. Un Français, un petit homme trapu au teint hâlé et au cheveu corbeau, chef de la main-d’œuvre des Houillères du bassin du Nord et du Pas-de-Calais.
« Mogha va venir lundi… », « Mogha arrive jeudi… » La scène se répète durant une vingtaine d’années, entre le début des années 1960 et la fin des années 1970. A chaque fois, la nouvelle prend corps en amont, le matin au marché, puis vole de vallée en vallée avec le chergui, ce sirocco venu du Sahara. Le bouche-à-oreille fait le reste. (...)
Certains ont parcouru plus de cent kilomètres, à pied ou à dos d’âne, gravissant les collines, sautant sur la route à bord d’un camion de marchandises, d’un taxi collectif ou d’une vieille Peugeot. Quand l’agent recruteur des houillères commence son passage en revue, les jeunes bergers ou paysans patientent parfois depuis plusieurs heures sous le soleil – une manière de tester leur endurance. « J’ai regardé dans le blanc des yeux un million de candidats marocains au moins », confiait-il à Antenne 2 en 1989, six ans avant sa mort.