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Substances toxiques sur les chantiers de bateaux de croisière : « J’ai cru que j’allais crever »
#santé #soustraitance
Article mis en ligne le 22 mai 2024

Les gigantesques paquebots de croisière et les bateaux militaires occupent une place de choix dans le port de Saint-Nazaire. Derrière ce décor, des salariés sous-traitants sont exposés à des substances dangereuses. Une enquête de Splann.

(...) Les « Chantiers », c’est le royaume des géants : un territoire de plus de 100 ha, où naissent des bateaux toujours plus grands, construits dans des cales à sec et dans d’immenses hangars. L’entreprise emploie plus de 3700 salariés « maison » et fait travailler entre 5000 et 7000 salariés sous-traitants employés par « plus de 600 sociétés », d’après la CGT. Dont beaucoup d’ouvriers régulièrement exposés aux fumées de soudage et autres substances chimiques. Leur réalité est bien éloignée de celle des passagers des paquebots qu’ils bâtissent. (...)

« Un jour, après le travail, je ne me sentais pas bien du tout : j’avais du mal à respirer, j’étais en sueur, j’avais des diarrhées. J’ai cru que j’allais crever. » Loïc* est jeune intérimaire et père de famille. Selon lui, pendant plusieurs mois, l’entreprise sous-traitante pour laquelle il travaillait jusqu’en 2022 lui aurait fait pratiquer de la soudure « inox » (acier inoxydable) sans équipement de protection individuel adapté, sans autorisation, sans licence, sans formation et sans suivi médical adapté. Quatre jours après son malaise, Loïc réalise un test urinaire qui révèle une contamination importante au chrome 6, un composé métallique très toxique. (...)

Après un long arrêt de travail, le jeune homme a fini par retrouver un emploi, mais cette intoxication lui a fait perdre 38 % de capacité respiratoire. (...)

Loïc est en colère. Et inquiet. Afin d’obtenir justice, l’ancien soudeur va attaquer son employeur pour faute inexcusable. Avec ce chrome 6 accumulé dans son organisme, il considère qu’il vit désormais avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête.
Fumées cancérogènes

Les fumées de soudage sont un serpent de mer aux Chantiers. Et un ennemi redoutable pour les travailleurs en raison des multiples composés métalliques qu’elles peuvent contenir (nickel, aluminium, chrome 6, cuivre, plomb, manganèse…). Depuis 2018, elles sont classées « cancérogène » pour l’homme par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). Elles peuvent causer – entre autres – de graves pathologies bronchopulmonaires.

Parmi les différents procédés de soudure utilisés aux Chantiers, la soudure « inox » est particulièrement nocive (...)

Comme Loïc, les salariés qui réalisent ces soudures inox travaillent majoritairement pour des entreprises sous-traitantes (« coréalisatrices », préfère dire la direction). Ils sont, en principe, soumis à un protocole obligatoire très strict : aspiration à la source, cagoule hermétique avec ventilation assistée, test urinaire tous les vendredis pour contrôler le taux de chrome 6, etc. Sauf dérogation, cette technique de soudage est interdite aux intérimaires, « pour une raison de suivi médical. Un salarié Chantiers est plus facile à suivre. Un intérimaire, c’est pas très cadré », détaille la CGT.

Mais, comme nous le montre le cas de Loïc, la réglementation est loin d’être toujours respectée : le procès-verbal du médecin de travail pointe très clairement les infractions au code du travail commises par l’employeur (...)

Travailleurs étrangers surexposés (...)

Grâce à une autre enquête réalisée en 2018 par l’agence d’urbanisme de la région de Saint-Nazaire, nous savons que les deux tiers d’entre eux ne restent pas plus de six mois dans l’agglomération. Ils repartent ensuite dans leur pays en emportant avec eux le secret de leurs expositions et de leur état de santé. « Certains n’hésitent pas à se mettre en danger pour des salaires jusqu’à dix fois supérieurs à ce qu’ils gagneraient chez eux », estime Sébastien Benoît (CGT), délégué CGT. (...)

La sous-traitance en cascade, très fréquente sur les navires, brouille les pistes et dilue les responsabilités, insiste ce délégué syndical. Un prestataire français va, par exemple, sous-traiter à des sociétés italiennes qui, à leur tour, vont faire travailler des salariés roumains œuvrant pour d’autres entreprises.

De son côté, la CFDT, syndicat minoritaire chez les ouvriers, préfère voir le verre à moitié plein. Son représentant, Jérôme Dholland, considère que depuis son arrivée dans l’entreprise il y a 24 ans, il y a eu « de réels progrès » en matière de protection des salariés exposés aux fumées de soudage. (...)

(...) Le recours massif à une main-d’œuvre étrangère aux Chantiers de l’Atlantique ne doit rien au hasard. C’est un choix qui remonte au début des années 2000. En octobre 2001, une note de la direction intitulée sans complexe « montage exotique » est envoyée aux entreprises sous-traitantes. Objectif : organiser la venue à Saint-Nazaire d’une main d’œuvre « docile » et « à faible coût », en provenance du « Maroc, de l’Ukraine, du Portugal et des Émirats arabes », peut-on lire dans le document.

23 ans plus tard, les travailleurs sous-traitants et intérimaires, étrangers et français, constituent l’une des pièces maîtresses du grand Mecanno des Chantiers. (...)

Pendant que les soudeurs opèrent au milieu des nuages de fumée, des femmes et des hommes, employés d’une société de nettoyage sous-traitante, respirent au quotidien toutes sortes d’effluves (carburants et solvants) extrêmement nocives pour la santé. Leur mission : livrer à l’armateur, dans les délais fixés, un navire d’une propreté irréprochable.

C’est au fond du bateau, en salle des machines, sous le plafond des ballasts, que les conditions de travail sont les plus dangereuses et les plus pénibles. (...)

Pas moins de trente entorses à la réglementation en matière d’exposition aux fumées de soudage ont été enregistrées durant les années 2021 et 2022 par les membres de la Commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) à la suite d’inspections à bord des navires. Ce constat demeure très incomplet, car les élus du personnel ne disposent que d’une heure tous les quinze jours pour contrôler un navire dans sa totalité. Pour Sébastien Benoît, représentant CGT, une chose est sûre :
« Les infractions sont récurrentes. Je vois tous les jours des sociétés sous-traitantes qui laissent leurs salariés souder sans masques adéquats. »

Cancers professionnels (...)

En plus de travailler dans des conditions de travail très pénibles, Christelle et Marie estiment être très mal formées et informées par leur employeur sur la nature des substances qu’elles utilisent et leurs conséquences sanitaires. Elles s’étonnent de ne pas avoir de suivi médical spécifique. (...)

Aux Chantiers, le thermomètre est cassé. Une partie importante des personnels exposés à des substances toxiques semble passer sous les radars de l’inspection et de la médecine du travail. (...)

Manque de médecins du travail (...)

« Aujourd’hui, hormis pour les expositions à l’amiante, bien peu de cancers sont reconnus en maladie professionnelle, privant les personnes exposées de leurs droits. » Comme Loïc, notre témoin intoxiqué au Chrome 6, combien devront se battre pour prouver le lien entre leur travail et leur maladie ?

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