
(...)
Eric Toussaint : Depuis l’an dernier, un nombre croissant de pays se trouvent dans l’impossibilité de refinancer leur dette sur le marché. La principale cause vient de l’arrêt des politiques de quantitative easing (QE, expansion Monétaire, ndlr) engagées par les Banques centrales après la crise immobilière et bancaire au Etats-Unis en 2006-2007 et qui s’était transformée en une crise généralisée du système financier européen et nord-américain en 2008. A l’injection de milliers de milliards de dollars, d’euros et de livres pour sauver les banques, s’était ajoutée une politique de taux d’intérêt extrêmement bas, voire nuls, jusqu’en 2021.
(...) Pendant cette décennie, des Etats, y compris très pauvres comme l’Ethiopie ou le Rwanda, qui n’avaient jamais eu accès aux marchés financiers ont soudain trouvé preneurs pour leurs titres de dette à Wall Street. Des fonds d’investissement et des banques, voyant que le rendement des titres français ou allemands étaient proche de zéro, se montraient intéressés à financer des gouvernements du Sud contre des intérêts de 4%, 5% ou 6%. Ces Etats se sont alors endettés en disant à leur population : voyez, tout va bien, les marchés nous font confiance, nous sommes crédibles, etc. Mais à partir du moment où les Banques centrales occidentales, confrontées à l’inflation, ont brutalement relevé leurs taux jusqu’à 5%, les financiers se sont à nouveau tournés vers les titres du Nord et les pays du Sud n’ont plus trouvé moyen de refinancer leurs emprunts à moins de 9%, 12% voire 15%.
Ce choc a été aggravé par les conséquences de la crise du Covid. (...)
Au Sud, qui sont les maillons faibles de cette nouvelle crise ?
Ce sont souvent des pays qui étaient considérés comme des élèves modèles par les instances financières néolibérales. Prenez le Sri Lanka, qui n’avait jamais fait défaut. Par le passé, ce pays a été amené à supprimer la régulation des prix du riz. D’auto-suffisant, il est devenu dépendant du marché mondial (Vietnam, Thaïlande, Etats-Unis). Puis le Sri Lanka a investi massivement dans l’industrie touristique. Avec le Covid et la guerre en Ukraine, il a subi coup sur coup l’arrêt du tourisme et la hausse du prix des céréales ! En avril 2022, Colombo n’avait d’autre choix que de suspendre le paiement de sa dette et de stopper ses importations. D’où l’explosion sociale. Autre exemple : le Ghana, « modèle d’ouverture », qui a aussi suspendu le service de sa dette.
L’Egypte, le Pakistan, le Bangladesh n’ont évité la suspension que suite à une intervention du FMI mais avec les conditionnalités draconiennes qu’on connaît (privatisations, austérité, dérégulation) et qui se sont déjà abattues sur la population. (...)
On peut s’attendre à voir une vague de nouveaux plans d’ajustements structurels…
Oui, cette crise marque le retour en force du FMI, qui ne se porte jamais aussi bien que quand le Sud dégringole. On n’est effectivement pas face à une généralisation des suspensions de paiement mais plutôt devant une succession de difficultés qui entraînent un recours systématique au FMI. Celui-ci a signé pas moins d’une centaine d’accords de crédit ; à mesure que les pays auront de la peine à payer, les plans d’austérité vont se durcir et se multiplier. (...)