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SOS Mediterranée
SOS Mediterranée – Trois questions à Dominika : «  Chaque membre de l’équipe réagit différemment aux événements traumatiques  »
#SosMediterranee #Aquarius #oceanViing #sauvetages #migrants #immigration
Article mis en ligne le 25 avril 2024
dernière modification le 23 avril 2024

Dominika est montée à bord de l’Aquarius en tant qu’infirmière en 2018 pour la première fois. Pour elle, cette mission a eu un impact considérable. Depuis lors, elle a participé à d’autres missions qui ont ébranlé les équipes sur le plan psychologique  : «  sauvetages critiques avec pertes de vie, coups de feu des garde-côtes libyens, recueil d’histoires traumatiques des personnes rescapées, déclaration de l’état d’urgence à bord avec tentatives de suicide…  ». Aujourd’hui responsable du département médical et de protection, elle revient sur les mécanismes de prévention et de traitement des risques psychologiques pour les équipes de sauvetage et de soins afin de les aider à surmonter l’impact des stress et traumatismes éprouvés lors de leurs missions.

(...) L’expérience que nous vivons en mer comme équipe de sauvetage comporte des risques sur le plan psychologique et il est normal d’avoir une forte réaction devant une situation aussi exceptionnelle.

Nos équipages risquent en effet d’être exposés directement à des événements traumatisants, tels que des naufrages, des noyades, des pertes de vie, des blessures graves ou des menaces pour la sécurité (par exemple, des tirs des garde-côtes libyens). Ils risquent également d’être victimes de traumatismes indirects en écoutant les récits des personnes secourues, qui peuvent avoir subi d’importants traumatismes et souffrir de détresse psychologique à la suite de violences, d’actes de torture, d’extorsions, etc. En outre, le travail à bord peut être très exigeant et stressant, dans un environnement de vie et de travail très confiné, avec peu d’intimité et de possibilités normales d’évacuer ou d’évacuer le stress. L’équipage est aussi confronté à des éléments imprévisibles tels que les conditions météorologiques ou le contexte politique difficile, ainsi qu’au risque de détention ou de criminalisation. Il peut y avoir beaucoup de frustration et de colère qui s’accumulent au fil du temps, car le contexte ne semble pas s’améliorer.

Certains postes peuvent être considérés comme plus à risques, notamment ceux qui sont décisionnaires, comme les personnes affectées à la coordination générale des sauvetages ou à la direction de l’équipe médicale, ou par exemple la sage-femme qui dispense des consultations entourant les violences sexuelles, et qui entend régulièrement des récits de vie très difficiles. Lors d’un incident critique, c’est-à-dire un événement au cours duquel une personne a été exposée à une menace pour son bien-être physique ou psychologique (soit directement, soit en tant que témoin), tout le monde, du cuisinier au pilote du canot de sauvetage, en passant par l’équipe à terre, peut être affecté à des degrés divers.

Automatiques et incontrôlables, les réactions varient d’une personne à l’autre et d’une situation à l’autre, et peuvent survenir sur le moment ou une fois l’événement terminé. (...)

Ces réactions ne signifient pas qu’une personne est «  faible  ». Elles sont normales, surtout dans les premières 72 heures, et peuvent évoluer très rapidement. Néanmoins, lorsqu’elles persistent et se prolongent, elles peuvent se transformer en un véritable syndrome invalidant.

En revanche, on doit commencer à s’inquiéter si ces émotions demeurent prégnantes après des semaines, voire des mois, avec l’apparition d’anxiété, d’enfermement sur soi, d’insomnie, de comportements addictifs. Ces signes peuvent être les symptômes d’un stress post traumatique, d’un burnout ou une dépression par exemple, pour lesquels un soutien psychologique spécialisé devra être mis en place. (...)

Nous, les humanitaires, voulons donner beaucoup à l’autre, ce qui est très bien, mais nous devons aussi laisser à nos collègues la possibilité de prendre soin d’eux-mêmes pour pouvoir prendre soin des autres. Comme on le dit souvent  : il faut d’abord mettre son propre masque à oxygène avant de mettre celui de quelqu’un d’autre. (...)

Encore aujourd’hui, plusieurs membres de l’équipage présent.e.s au moment du sauvetage tragique du 27 janvier 2018 ont du mal à évoquer ces souvenirs douloureux. (...)