
Le 8 janvier, des soignants d’un hôpital privé d’Annemasse auraient, selon leurs dires, été agressés par deux frères, Nasser et Hassim C., qui comparaissent le 17 février devant le tribunal correctionnel de Thonon-les-Bains. Mais l’enquête de la police a mis au jour une tout autre réalité.
Il est 23 h 30, le 8 janvier, à l’hôpital privé Pays-de-Savoie à Annemasse (Haute-Savoie), lorsque huit soignant·es sont, selon leurs déclarations, agressé·es par deux frères, Nasser et Hassim C., reçus aux urgences à la suite d’un accident du travail. Refusant de quitter la zone de soins, Nasser aurait, selon le personnel, insulté et frappé plusieurs personnes avant de prendre la fuite avec son frère. Le 17 février, Nasser et Hassim doivent être jugés par le tribunal correctionnel de Thonon-les-Bains.
Dès le 11 janvier, le ministre de la santé, Yannick Neuder, est venu soutenir le personnel de l’établissement, exigeant « une tolérance zéro » pour les deux agresseurs présumés, dont l’origine comorienne a été rapidement mise en avant par plusieurs médias. La direction de l’hôpital, quant à elle, annonçait le 13 janvier fermer le service pour une semaine, les équipes, « dans un état de grande fragilité émotionnelle et psychologique », ne pouvant « reprendre leurs fonctions dans des conditions optimales ».
Mais, selon l’enquête de la police, Nasser et Hassim C. paraissent davantage victimes de soignant·es dont la plupart n’étaient pas en service mais participaient à un repas de Noël organisé dans l’établissement. Plusieurs témoignages relatent que certain·es sentaient l’alcool et que leur état d’ivresse faisait peu de doute, comme l’avait évoqué 20 Minutes suisse.
Sur les images d’une des caméras de vidéosurveillance, une aide-soignante donne un coup de pied à Hassim C., alors qu’il est étendu sur le sol. Sur d’autres enregistrements, publiés par Mediapart, dix minutes après les faits et alors que Nasser et Hassim C. ont quitté l’hôpital, l’un des soignant·es frappe violemment une porte avec son poing.
Contacté par Mediapart, le cabinet du ministre de la santé n’a pas répondu à nos questions, renvoyant à une enquête en cours qui permettra « d’établir la matérialité des faits et ainsi la manifestation de la vérité ». L’avocate de Nasser et Hassim, Sarah Mauger-Poliak, déplore quant à elle « le parti pris immédiat des fonctionnaires de police dans leur enquête alors même que les premiers éléments recueillis contredisaient la version des soignants ».
Dès le lendemain des faits, le 9 janvier, Nasser C., 25 ans, et Hassim C., 33 ans, se sont d’ailleurs rendus au commissariat pour signaler les événements et porter plainte pour violence et non-assistance à personne en danger. Mais, loin d’être entendus, ils ont immédiatement été placés en garde à vue, poursuivis pour « violences sur un professionnel de santé suivi d’une incapacité de travail inférieure à huit jours », dans le cadre de l’enquête préliminaire ouverte à la suite de la plainte des treize soignant·es.
Depuis, Hassim, père de trois enfants, et Nasser, tous deux suivis psychologiquement, ont été suspendus de leur travail, dans l’attente de leur jugement. Le procureur de la République de Thonon-les-Bains n’a pas précisé quelle suite il avait décidé de donner à la plainte déposée le 4 février par les deux frères. (...)
Le témoin, Michaël, a également fait part de son incompréhension auprès des policiers. Au départ des deux frères de l’hôpital, il a lui-même questionné des infirmières : « Est-ce que vous n’êtes pas dans l’obligation de soigner des personnes dans cet état ? » « Non, lui ont-elles répondu, ici c’est un hôpital privé. »
Les premiers certificats médicaux établis pour constater les blessures des soignant·es l’ont été par un des médecins qui a pris part à l’altercation. L’ensemble de ces certificats a été minimisé par le médecin de l’unité médico-judiciaire qui, mandaté par le parquet, a relevé essentiellement des contusions et, pour la majorité des soignant·es, un choc psychologique. Pour les douze plaignant·es, les incapacités totales de travail (ITT) sont toutes inférieures à huit jours. (...)
Quant à Alexandre De O., qui présentait une entorse du poignet droit, prétendument causée par les coups portés par Nasser, les enquêteurs découvrent qu’en réalité, en visionnant les images de vidéosurveillance, dix minutes après le départ des deux frères de l’hôpital, ce responsable des urgences s’est dirigé « vers son bureau » et, « subitement, [a] ass[ené] un violent coup de poing avec sa main droite contre le mur (ou la porte de son bureau) ». Le même exhibera son poignet bandé à la télévision. (...)
L’aide-soignante « est bourrée »
Le 8 janvier, à 23 h 23, Hassim se présente aux urgences. Compte tenu de son extrême fragilité, son frère Nasser l’accompagne. Cheminot à Genève (Suisse), Hassim s’est blessé en chutant sur un rail. Ses collègues ayant fini leur service, il s’est retrouvé seul. Venu le récupérer, son frère le découvre nauséeux, le visage en sang et avec une forte douleur au bras droit, qui se révèlera fracturé au niveau du poignet et du coude.
À leur arrivée aux urgences de l’hôpital du groupe Ramsay, une aide-soignante installe Hassim sur un fauteuil roulant, tout en lui signalant qu’en l’absence de ses papiers, en particulier de sa carte Vitale, sa prise en charge risque d’être compliquée. Inquiet, son frère Nasser appelle alors les pompiers, qui lui rappellent que les urgences se doivent de soigner son frère. À la fin de cette conversation, dont l’enregistrement a été versé à l’enquête, on entend Nasser préciser que l’aide-soignante « est bourrée ».
Une infirmière rejoint alors sa collègue et tente de repousser Nasser à l’extérieur de la zone des soins, où il attend près de son frère allongé sur un brancard. Mais le ton monte. Auprès des policiers, un témoin, Michaël, venu accompagner un proche aux urgences, précise que l’infirmière, dont « on ne savait pas si elle avait bu ou fumé », mais qui « n’était pas dans son état normal », est alors rejointe par un collègue, « assez costaud ». Il s’agit de l’infirmier et responsable des urgences Alexandre De O., qui n’est pas en service et vient de terminer le repas de Noël.
Alexandre De O. s’est mis à courir dans le couloir, « ce qui a provoqué un effet de foule ». Plusieurs infirmières, cinq ou six, dont une ancienne championne de boxe professionnelle, participant également au dîner, se sont dirigées vers les deux frères. Alexandre De O. a alors « poussé violemment » Nasser, puis « l’a saisi avec ses deux poings au niveau du torse ». Le témoin n’a « jamais vu [Nasser] porter des coups de poing ou de pied » et a tenu à venir témoigner auprès de la police en « voyant les informations à la télé » relatant l’agression, « pour que les deux jeunes soient jugés avec la réalité des faits ».
Le témoin a même dû intervenir auprès d’un médecin qui « tenait par le col le blessé », alors allongé « au sol », et « avait le poing armé au-dessus de sa tête ». Arrivé vers le médecin, ce témoin lui dit de lâcher le blessé, « il est déjà rempli de sang ».
Dans ce qui a pris l’allure d’une mêlée, ce sont les deux frères qui semblent davantage pris à partie. (...)
Des policiers priés de « patienter à l’extérieur »
Selon la plupart des infirmières, les deux frères « se sont enfuis avec leur voiture ». L’une d’elles précise même auprès des policiers avoir « eu le réflexe de dire : “La plaque, la plaque !” », afin que l’immatriculation de leur véhicule soit relevée. Mais, là encore, les images de vidéosurveillance viennent démentir cette version.
Ainsi que le relèvent les enquêteurs, Nasser soutient son frère Hassim, qui a visiblement des difficultés pour marcher, et ils « sont raccompagnés calmement par les services d’urgences à la sortie. Ils montent [ensuite] dans leur véhicule et quittent les lieux ».
Ils rejoignent alors l’hôpital de Genève, où Hassim est soigné pour sa fracture au bras, une autre au niveau de la pommette, et recousu au visage (huit points). Dès le lendemain, les deux frères se présentent d’eux-mêmes au commissariat d’Annemasse pour porter plainte. (...)
Lire aussi :
Le procès de deux frères soupçonnés d’avoir agressé 14 membres du personnel de l’hôpital d’Annemasse (Haute-Savoie), a eu lieu ce 17 février. Face au tribunal, deux versions se sont affrontées : celles des soignants qui témoignent d’un déchaînement de violence, et celles des prévenus qui assurent ne pas avoir donné de coups. (...)
Que s’est-il vraiment passé le 8 janvier dernier aux urgences de l’hôpital d’Annemasse ? C’est la question à laquelle le tribunal de Thonon-les-Bains a tenté de répondre ce lundi 17 février, en revenant longuement sur la chronologie des faits et sur le témoignage des parties civiles et des deux prévenus : deux frères soupçonnés d’avoir violemment agressé l’équipe soignante. (...)
Une bagarre au milieu des urgences
À la barre, les soignants décrivent ensuite un déchaînement de violence : une infirmière est poussée et tirée par les cheveux, une autre est traînée par les cheveux sur plusieurs mètres. Des soignants, qui n’étaient pas en service au moment de l’agression et fêtaient Noël, tentent de venir en aide à leurs collègues. Un infirmier tombe au sol et est roué de coups. (...)
Entendu par le juge, Nasser C. assure qu’il n’a mis "aucun coup" mais qu’il était "contrarié" parce qu’on lui avait dit que son frère ne serait peut-être pas pris en charge en raison d’une absence de carte Vitale.
Il reconnaît avoir dit "t’es bourrée" à une aide-soignante, et raconte qu’une infirmière a "levé la main" sur lui alors qu’il tentait d’installer son frère sur un brancard en salle de soins. "Je l’ai repoussée, je lui ai demandé de ne pas me toucher" témoigne-t-il, ajoutant qu’un infirmier s’était interposé et avait essayé de le pousser vers la sortie.
"Il m’a repoussé, j’ai juste enlevé mes mains". L’infirmier, qui est aussi le chef de service, est tombé au sol. "On me parle de ’roué de coups’, c’est faux", affirme à nouveau Nasser C. (...)
De son côté, son frère Hassim C. explique s’être fait plaquer au sol par un médecin lorsqu’il est descendu de son brancard. Puis les deux mis en cause ont quitté le service. Entre leur arrivée aux urgences et leur départ, seulement 17 minutes se sont écoulées.
Le lendemain matin, ils se sont rendus au commissariat pour porter plainte, se disant victimes d’agression. C’est là qu’ils ont été interpellés et placés en garde à vue. (...)
"L’hôpital s’est arrêté pendant presque une semaine. Il y a eu des préjudices conséquents, rappelle Me Marie-Christine Mante-Saroli, avocate des soignants et de l’hôpital. Il n’y a pas 14 menteurs. Ce qu’ils veulent, c’est pouvoir travailler tranquillement". (...)
Du côté de la défense, Me Sarah Mauger-Poliak insiste sur un problème de prise en charge et déplore l’absence d’images d’une caméra de vidéosurveillance qui aurait pu filmer la majorité de la scène, mais qui serait tombée en panne.
Les autres images de vidéosurveillance, visionnées par le tribunal, montrent des gestes de violences difficilement attribuables aux uns ou aux autres.
L’avocate des deux prévenus souligne les incohérences entre les différentes déclarations des soignants, et s’appuie sur le témoignage de deux patients entendus à la barre. Présents aux urgences ce soir-là, ils assurent ne pas avoir vu les coups portés par les deux frères et expliquent que ces derniers n’ont fait que se défendre.
À l’issue de sa plaidoirie, Me Mauger-Poliak demande la relaxe de ses clients, dénonçant une enquête "menée exclusivement à charge" et "un contexte de pressions politiques et médiatiques".
Le jugement mis en délibéré
"On n’a tapé personne. On n’a mis zéro coup sur qui que ce soit. On comptait sur les images de vidéosurveillance pour nous innocenter" répète Hassim C.
À la fin des débats, le procureur a requis 18 mois d’emprisonnement assortis d’un sursis de 6 mois et d’un mandat de dépôt pour violences en réunion.
Les deux frères encourent jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Le jugement du tribunal sera rendu le 10 mars à 14 heures.