
Pour redorer son image, le géant du commerce en ligne tente par tous les moyens d’influencer les responsables politiques mais aussi l’opinion publique, par des partenariats commerciaux avec des influenceurs et des placements de produits dans les séries télévisées.
Saison 3, épisode 1, la scène dure à peine dix secondes. Dix secondes pendant lesquelles un emballage Shein est très visible à l’écran, et au centre d’un échange tendu sur l’impact de la fast-fashion entre deux personnages de la série And Just Like That…, qui fait suite à Sex and the City. Le placement de produit n’est pas passé inaperçu auprès des fans de la série, étant donné que les actrices – qui incarnent de riches New-Yorkaises – sont habituellement vêtues de marques de luxe inaccessibles au commun des mortel·les.
Ce n’est pas la première fois que Shein s’invite dans une série télévisée. En 2021, la marque était visible dans la saison 7 de la série pour ados SKAM France, diffusée sur la plateforme France.tv slash. Contactée par Mediapart, la régie publicitaire de France Télévisions assure ne plus travailler avec cet annonceur, en raison des exigences imposées par la charte de FranceTV Publicité.
Pour conquérir le marché de la mode à bas prix, le géant de l’e-commerce ne vise pas seulement l’univers des séries télévisées. Sa cible favorite pour séduire les adolescent·es : les influenceurs et les influenceuses.
Dans une vidéo dédiée à ses plus de trois millions de followers, Milla Jasmine enchaîne les tenues estivales, sur un fond musical des Gipsy Kings. « Soldes d’été brûlants chez Shein », prévient l’influenceuse basée à Dubaï, qui promet jusqu’à 70 % de réduction sur sa propre sélection de vêtements. (...)
Elle est loin d’être la seule liée par un partenariat commercial avec la marque de fast-fashion. Manon Tanti, elle aussi suivie par près de trois millions de personnes sur les réseaux sociaux, propose un lien vers sa propre « boutique Shein », où les consommateurs et consommatrices peuvent acheter en un clic un haut à 4,99 euros. (...)
Ces influenceuses ne sont pas seulement des vitrines commerciales pour la multinationale. Elles sont aussi sollicitées pour redorer l’image de la marque, connue pour son impact social et environnemental catastrophique. En juin 2023, Shein en a invité plusieurs d’entre elles et eux à visiter ce qui est présenté comme l’une des usines du groupe à Guangzhou, en Chine.
Dans des vidéos surréalistes, les stars des réseaux sociaux s’émerveillent les unes après les autres des conditions de travail prétendument idylliques des employé·es. L’une d’entre elles, Dani DMC, a depuis regretté sa participation à cette grossière mise en scène, et cessé toute collaboration commerciale avec la marque.
Magali Berdah en guerre contre la loi
En France, une influenceuse est allée jusqu’à endosser elle-même les habits de lobbyiste de Shein. Magali Berdah est en guerre contre la loi dite « fast-fashion ». Le texte, dont l’adoption finale devrait avoir lieu à l’automne, prévoit des pénalités financières sur les produits des géants de l’e-commerce que sont Shein et Temu : 5 euros par produit en 2025 et 10 euros par produit en 2030, ainsi qu’une interdiction totale de la publicité.
Liée par un partenariat commercial avec Shein, Magali Berdah a tourné pas moins de cinq vidéos pour dénoncer une loi « qui s’attaque au pouvoir d’achat des Français ». L’influenceuse, suivie par 1,9 million de personnes sur Instagram, est « partie à la rencontre des Français », dans un exercice de micro-trottoir très orienté, contre un texte accusé de pénaliser les consommateurs et les consommatrices les moins aisé·es. (...)
C’est presque mot pour mot le slogan d’une vaste campagne de publicité lancée en avril par la multinationale : « La mode est un droit, pas un privilège. »
Contactée par Mediapart, Magali Berdah assure avoir eu « quartier libre sur les questions, sur la manière de tourner ». Pourquoi n’avoir pas dit un mot sur l’impact écologique et social de la multinationale ? « Ce n’était tout simplement pas le sujet de mes vidéos », se défend l’influenceuse, qui assure n’être pas opposée sur le fond à la loi fast-fashion. (...)
Pour tenter d’entraver l’adoption de cette loi, Shein a aussi visé les parlementaires, dans une opération de lobbying d’une ampleur rarement vue par les élu·es. Après son adoption en première lecture par l’Assemblée nationale en mars 2024, la multinationale a envoyé à tous les parlementaires un rapport, présenté comme une étude « indépendante ». Révélé par Radio France, le document de 37 pages tente de démontrer que la loi fast-fashion pénaliserait en réalité les plus modestes, osant même le parallèle avec la taxe carburant de 2018 « ayant mené au mouvement des “gilets jaunes” ».
La firme a plus particulièrement ciblé certains élus. (...)
En décembre 2024, La Lettre a révélé le recrutement de plusieurs anciens décideurs français dans un « comité régional » chargé de conseiller le groupe sur sa stratégie en matière de responsabilité sociale et environnementale. On y trouve l’ancien porte-parole du gouvernement et ancien ministre de l’intérieur, mais aussi l’ancienne secrétaire d’État Nicole Guedj, et l’ancien dirigeant du Medef Bernard Spitz. Le 27 janvier, Christophe Castaner fustige sur BFMTV la loi fast-fashion. « On est en train d’inventer une TVA sur les produits des plus pauvres, moi je trouve ça assez dégueulasse », s’indigne l’ancien ministre macroniste.
La HATVP saisie par deux ONG
Officiellement, les activités de lobbying déclarées par Shein à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) se situent dans une fourchette de 100 000 à 200 000 euros en 2025. Un chiffre qui laisse sceptiques plusieurs ONG. Le 23 mai, les Amis de la Terre et l’Observatoire des multinationales ont adressé un signalement à la HATVP.
Les deux ONG disent avoir relevé de potentielles irrégularités dans les déclarations d’activités de représentation d’intérêts du groupe Shein, jugées trop « vagues et non informatives ». « Ses représentants ont eu plusieurs rendez-vous à très haut niveau dont l’Élysée, il y a urgence à lever le voile sur cette influence exercée jusqu’au sommet de l’État », s’inquiète Pierre Condamine, chargé de campagne surproduction aux Amis de la Terre. (...)
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