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Mediapart
Retailleau et Darmanin, accélérateurs de la bascule vers l’extrême droite
#Retailleau #Darmanin #extremedroite
Article mis en ligne le 31 mars 2025
dernière modification le 27 mars 2025

Les ministres de l’intérieur et de la justice se disputent l’espace public, reprenant les mots, les idées et les contre-vérités de l’extrême droite, sans jamais être recadrés. Ils alimentent ainsi chaque jour l’entreprise de « dédiabolisation » du Rassemblement national.

(...) Depuis quelques semaines, le ministre de l’intérieur et celui de la justice se relaient dans les médias de Vincent Bolloré pour rivaliser de formules choc et de propositions qui se le veulent tout autant. Bras de fer avec l’Algérie, port du voile pour les sportives, expulsion des personnes sous OQTF (obligation de quitter le territoire français) et des détenus étrangers, interdiction des mariages mixtes… Chacun son tour, les deux hommes ont aussi menacé de démissionner du gouvernement s’ils n’obtenaient pas gain de cause sur au moins un de ces sujets.

Mardi 25 mars au matin, Bruno Retailleau a donc de nouveau brassé l’ensemble de ces questions au micro de Sonia Mabrouk, sautant de l’une à l’autre avec un art maîtrisé du confusionnisme. Interrogé sur l’agression d’Arié Engelberg, rabbin d’Orléans (Loiret), le ministre de l’intérieur a évoqué un « antisémitisme d’atmosphère » – expression également utilisée la veille par le président du Rassemblement national (RN), Jordan Bardella –, en lui attribuant un « double visage » : celui de « l’islamisme » et celui de « l’extrême gauche ». (...)

En amont, Bruno Retailleau avait pris soin de balayer la question de l’antisémitisme d’extrême droite, estimant que celui-ci était « plutôt résiduel » et appartenait désormais au passé. Une assertion à rebours des études sérieuses sur le sujet, comme le rapport annuel de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Rendu public en juin 2024, il faisait état d’« une très forte augmentation des actes racistes, avec en particulier une explosion des actes antisémites » en 2023. (...)

Une course sans fin avec le RN

Malgré cette étude de la CNCDH, réalisée sur la base des bilans statistiques des ministères de l’intérieur et de la justice, mais aussi d’enquêtes sur l’état de l’opinion, d’analyses des chercheurs et chercheuses et de contributions des acteurs institutionnels, associatifs et internationaux, les discours opportunistes de l’extrême droite sur le sujet ont fini par infuser dans l’espace politique et médiatique. Jusqu’à gagner l’esprit de ceux qui, au sein du gouvernement, se sont lancés dans une course sans fin avec le RN, les yeux rivés sur la prochaine présidentielle. (...)

Depuis des années, le RN tente d’effacer sa propre histoire, en se présentant comme le « bouclier de la communauté juive », selon les mots répétés dimanche 23 mars par le vice-président du parti, Sébastien Chenu. Récemment interrogé sur le fait que le député Frédéric Boccaletti avait vendu dans les années 1990 des livres antisémites dans sa librairie de Toulon (Var), Jordan Bardella s’est contenté de répondre : « C’est faux. » Balayant les accusations factuelles en leur opposant ses succès électoraux, l’extrême droite a fini par imposer son récit, ses mots et ses idées.

Ces mots et ces idées sont désormais recyclés par Bruno Retailleau et Gérald Darmanin, qui jugent certains de leurs collègues du gouvernement « trop mous » – il faut dire que même Marine Le Pen l’est aux yeux du garde des Sceaux – et n’hésitent pas à prendre leurs distances avec Emmanuel Macron. (...)

Hormis sur la question des relations diplomatiques avec l’Algérie, le chef de l’État reste silencieux sur les différentes sorties de ses ministres. Comme souvent en la matière, l’Élysée laisse faire, se contentant de distiller son agacement par voie de confidences d’entourage dans la presse, imputant au premier ministre – lui-même en plein naufrage – la responsabilité des cacophonies gouvernementales et assumant l’idée d’une cohabitation qui ne dirait pas son nom. Mais pendant ce temps, ses ministres continuent de souffler allègrement sur les braises.
La logique de parcours politiques

Non content d’alimenter l’entreprise de « dédiabolisation » du RN par jeu de miroirs avec LFI – « Pour moi, c’est le plus grand danger bien sûr, le danger du chaos », a répété Bruno Retailleau au sujet du mouvement mélenchoniste –, le ministre de l’intérieur se mue en copiste. Rien, sur le fond comme sur la forme, ne différencie ses discours de ceux de Marine Le Pen. Ainsi contribue-t-il, comme Gérard Darmanin du reste, à normaliser dans le débat public des expressions et des concepts jusqu’alors réservés à l’extrême droite.

S’en prenant, dans un bingo presque parfait, aux « wokistes », aux « décolonisalistes » et aux « indigénistes », Bruno Retailleau a profité de l’antenne de Bolloré pour soutenir la porte-parole du gouvernement, Sophie Primas, qui a récemment parlé – sur CNews et Europe 1, il n’y a pas de mystère – de « racisme anti-Blancs » – expression également reprise par le secrétaire national du Parti communiste français (PCF), Fabien Roussel. « Bien sûr que le racisme anti-Blancs existe aujourd’hui en France », a martelé le ministre de l’intérieur au terme d’une démonstration aussi hasardeuse que raciste : « Le racisme peut-être un racisme anti-Blancs, anti-Noirs, anti-Jaunes [sic] parce que le mal est partout. »

Comme le rappelait Mediapart en 2019, dans le sillage de nombre de sociologues, le « racisme anti-Blancs » est une construction idéologique destinée à relativiser le racisme systémique, social et culturel, subi en France par les personnes racisées. Son ascension dans le débat public témoigne non seulement de l’aveuglement français à la question coloniale – Bruno Retailleau veut d’ailleurs « sortir de la vision lacrymale et pénitentielle de notre histoire » –, mais aussi du succès de la stratégie d’hégémonie culturelle de l’extrême droite. (...)