Au-delà de la gravité des blessures que l’on soigne à bord de l’Ocean Viking, c’est souvent la résilience et l’altruisme des personnes que nous secourons qui nous impressionne le plus. Ce jour-là, Rebecca a accueilli à la clinique cet homme à la voix douce, plus préoccupé par les autres que par son propre état de santé, pourtant particulièrement précaire. Cheffe de l’équipe médicale à bord, elle raconte ce cas qui l’a particulièrement surprise.
Lorsque les collègues des canots de sauvetage m’ont appelée sur le navire pour me dire qu’un brancard était nécessaire, j’étais plutôt surprise : nous n’avions identifié aucune personne rescapée nécessitant des soins médicaux au moment de la stabilisation.
Puis j’ai vu arriver à bord cet homme sub-saharien parlant doucement, extrêmement gentil et poli, qui semblait à la fois plus âgé et beaucoup plus jeune que son âge. Tout au long du processus de stabilisation et d’évaluation à bord de nos canots de sauvetage, il n’avait ni sollicité notre attention ni demandé d’assistance. Il a attendu qu’il ne reste plus que quelques personnes dans l’épave pour être évacué, avant de dire, très calmement : « J’ai peut-être besoin d’aide pour bouger ».
Grâce à leur expérience, mes collègues sur le canot de sauvetage ont immédiatement remarqué des brûlures cutanées étendues sur son corps, croyant d’abord qu’elles étaient dues au mélange corrosif d’essence et d’eau salée, un phénomène courant parmi les personnes secourues. Dès son arrivée à bord, nous avons vu son épiderme carbonisé, d’où pointaient les os… Mais les brûlures n’avaient pas été causées par le carburant, mais par le feu ! Ce n’est que plus tard qu’il nous a révélé que, pour tenter d’échapper aux horreurs de la détention, il avait sauté d’une fenêtre du quatrième étage, atterrissant dans les flammes d’un feu qui faisait rage plusieurs mètres plus bas.
Mais plus profondes encore étaient ses blessures invisibles. Sans avoir laissé échapper la moindre plainte, ce survivant avait non seulement fui la Libye et traversé la Méditerranée centrale, mais était également resté assis pendant toute la durée du sauvetage avec une grave fracture de la colonne vertébrale, risquant une invalidité permanente. (...)