
À l’occasion de la projection à l’Assemblée nationale du film de Jean-Pierre Bloc « Par la fenêtre ou par la porte » sur l’affaire des suicides chez France Télécom, plusieurs parlementaires, experts et acteurs syndicaux appellent le Parlement à se saisir des questions de santé au travail.
La sortie du film de Jean-Pierre Bloc Par la fenêtre ou par la porte, sur l’affaire des suicides chez France Télécom, et le succès d’audience qu’il rencontre sont l’occasion de réfléchir et de débattre sur un phénomène marquant de l’évolution des rapports sociaux au travail, celui de la souffrance psychique professionnelle. Mais aussi sur la justice.
Souvenons-nous. En 2004, la privatisation de l’opérateur public de téléphone doit s’accompagner d’une réduction à marche forcée des effectifs et de la transformation en profondeur de ses métiers. Sous la férule de son PDG, Didier Lombard, l’entreprise va passer d’une logique de service public à celle d’un leader du CAC 40 et 22 000 agents doivent partir… de gré ou de force.
Ce sera le plan Next et la mise en œuvre d’un management brutal et agressif qui doit déstabiliser les fonctionnaires de l’opérateur et dégrader leurs conditions de travail pour les pousser vers la porte ou la fenêtre, selon les propres mots du PDG devant ses cadres dirigeants. (...)
Entre 2008 et 2009, 35 agents se suicideront et, à la suite d’une plainte du syndicat Sud, rejoint par d’autres syndicats, et d’une enquête de l’Inspection du travail, un procès se tiendra à Paris en correctionnel en 2019, puis en appel en 2022. Celui-ci débouchera sur des condamnations historiques des principaux dirigeants à un an de prison de prison assorti du sursis et à 15 000 euros d’amende pour harcèlement moral institutionnel. Une première dans le monde feutré et très sélectif des grandes entreprises mondialisées. (...)
Au-delà de la question du suicide, c’est bien celle de la souffrance psychique au travail qui caractérise l’évolution des modes de management et d’organisation du travail ces trente dernières années. Avec des conséquences massives sur la santé des salariés.
Qu’il s’agisse des données statistiques du Réseau national de vigilance et de prévention des maladies professionnelles (RNV3P) ou de celles de la surveillance des maladies à caractère professionnel de Santé publique France, les pathologies psychiques arrivent en seconde position des maladies liées au travail depuis plusieurs années, juste après les troubles musculosquelettiques (TMS). (...)
Dans tous les cas prévus par le législateur, la répression est moins punitive dans le domaine du travail. Rien ne justifie cette clémence vis-à-vis de violences envers des individus, d’autant que, lorsqu’elles sont systémiques comme dans le cas de France Télécom, les dégâts humains peuvent être considérables quant au nombre de personnes affectées.
Nous demandons donc un alignement des peines encourues et une adaptation en ce sens du Code pénal, en son article L. 222-33-2. (...)
Nous proposons qu’une mission d’information parlementaire se penche sur les conditions de reconnaissance des maladies professionnelles d’origine psychique.
Un autre aspect fondamental nous semble résider dans la prévention insuffisante des risques psychosociaux (RPS). De nombreux leviers ont déjà été actionnés par les pouvoirs publics, sans que cela ne permette véritablement des progrès significatifs face à ce fléau. (...)
Aujourd’hui, un constat s’impose : la suppression des CHSCT par les ordonnances Travail de 2017 a cassé la dynamique de prise en charge de la santé au travail et de la prévention des risques professionnels dans les entreprises. Cette analyse est partagée par de nombreux observateurs, qu’ils soient professionnels de la prévention, chercheurs, voire experts des relations sociales comme le sont Jean-François Pillard, ex-négociateur du Medef, ou Marcel Grignard, ancien numéro 2 de la CFDT, qui ont piloté avec France Stratégie le Comité d’évaluation des ordonnances. (...)
Il nous semble donc qu’il revient au parlement, à travers une autre mission d’information, de lancer une réflexion approfondie sur la nécessité de corriger les défauts des ordonnances de 2017 et sur la meilleure façon de relancer une dynamique de prévention dans les entreprises à partir d’un rôle régénéré des instances représentatives du personnel. (...)