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Mediapart
Pour le Conseil d’État, le gouvernement peut couper TikTok, mais pas comme il l’a fait en Nouvelle-Calédonie
#ConseildEtat #NouvelleCaledonie #TikTok
Article mis en ligne le 6 avril 2025
dernière modification le 3 avril 2025

Dans une décision rendue mardi 1er avril, le Conseil d’État juge illégale la suspension par le gouvernement du réseau TikTok en Nouvelle-Calédonie durant les affrontements de mai 2024. Tout en lui reconnaissant le droit de suspendre l’accès à un réseau social au nom de circonstances exceptionnelles.

Mais dans ce cas précis, le Conseil d’État juge qu’en ordonnant « une interruption totale du service pour une durée indéterminée, liée seulement à la persistance des troubles à l’ordre public, sans subordonner son maintien à l’impossibilité de mettre en œuvre des mesures alternatives », le premier ministre a « porté une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression, à la liberté de communication des idées et opinions et à la liberté d’accès à l’information ».

Le Conseil d’État avait été saisi de trois recours, déposés par l’association de défense des libertés La Quadrature du Net, la Ligue des droits de l’homme (LDH) et des habitant·es de la Nouvelle-Calédonie, contre la décision révélée par la presse le 15 mai 2024 du blocage de TikTok dans l’île, alors en proie à des affrontements.

Dans la foulée, le premier ministre Gabriel Attal avait annoncé l’instauration de l’état d’urgence régi par la loi du 3 avril 1955. Ce texte prévoit la possibilité de décréter « l’interruption de tout service de communication au public en ligne provoquant à la commission d’actes de terrorisme ». Et c’est sous ce régime que le gouvernement avait semblé tout d’abord se placer.

Mais celui-ci comportait un risque juridique important pour les autorités. En effet, les affrontements en Nouvelle-Calédonie ne relevaient pas du terrorisme, comme le demande la loi sur l’état d’urgence. À l’occasion d’une première série de recours, déposés en référé dès le mois de mai 2024, le gouvernement avait changé son fusil d’épaule en fondant cette fois sa décision sur la théorie des circonstances exceptionnelles. (...)

Les trois recours déposés en référé, c’est-à-dire en urgence, dans l’attente d’une décision sur le fond, avaient été rejetés pour une question de procédure. La décision sur les recours au fond du juge administratif suprême était donc particulièrement attendue. (...)

Les requérants pointaient également la faiblesse des éléments avancés par le gouvernement pour prouver que TikTok était massivement utilisé pour organiser les violences ou en faire l’apologie. « Le premier ministre se contente de faire référence à des contenus – qu’il ne produit pas – qui seraient si violents et si massivement diffusés que cette diffusion justifierait une telle censure, écrivait ainsi l’avocat de La Quadrature du Net, Alexis Fitzjean Ó Cobhthaigh. Mais une simple allégation […] ne suffit pas à démontrer une quelconque nécessité ou adéquation de la mesure. »

L’association rappelait aussi que le directeur des affaires publiques de TikTok France avait été auditionné, le 6 juin 2024, par les sénateurs et sénatrices, auxquel·les il avait expliqué que sa plateforme n’avait « reçu aucun signalement de contenus illicites émanant de la Plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (Pharos), mais également qu’elle n’avait détecté elle-même aucun contenu illicite ».

« Victoire à la Pyrrhus » pour les associations

Pour répondre à ces deux questions, le Conseil d’État a finalement choisi de valider le principe du recours à la théorie des circonstances exceptionnelles, tout en le jugeant, en l’espèce, disproportionné et donc illégal. Il suit ainsi les conclusions générales présentées à l’audience du 14 mars par la rapporteuse générale, Esther de Moustier, une magistrate indépendante chargée de donner un avis ne liant pas le Conseil d’État. (...)

« Le Conseil d’État valide la possibilité d’avoir recours à la théorie des circonstances exceptionnelles en même temps que l’état d’urgence, appuie Bastien Le Querrec, juriste à La Quadrature du Net. Sur le contrôle de proportionnalité, il valide également l’analyse des faits qui pouvaient justifier le recours à cette théorie. Tout ce que fait le Conseil d’État, c’est dire que le gouvernement aurait dû limiter plus cette mesure dans le temps et bloquer uniquement certaines fonctionnalités. »

« En réalité, poursuit Bastien Le Querrec, le Conseil d’État s’aligne totalement sur Emmanuel Macron qui, après les émeutes qui avaient suivi la mort de Nahel en juin 2023, avait dit qu’il faudrait bloquer certains réseaux sociaux lors des prochaines émeutes urbaines. Dans la foulée, l’Élysée avait modéré les propos du président en expliquant qu’il faudrait en fait bloquer certaines fonctionnalités. C’est exactement l’analyse que reprend le Conseil d’État qui, dans cette décision, offre un mode d’emploi juridique pour bloquer un réseau social en l’absence de tout contre-pouvoir. »