
Discuté mercredi par la Commission européenne, le projet de règlement "Chat Control" veut renforcer la détection et le signalement des contenus pédocriminels dans l’UE pour mieux protéger les mineurs. Ses opposants y voient une grave atteinte aux libertés fondamentales, voire la fin de la vie privée en Europe.
La ligne de fracture est nette : d’un côté, ceux qui prônent la sécurité des enfants à tout prix ; de l’autre, ceux qui craignent un précédent dangereux pour la vie privée.
Avec le projet de règlement "Chat Control", c’est le dilemme auquel se heurte l’Union européenne. Conçu pour détecter les contenus pédocriminels en ligne, le texte, débattu mercredi 8 octobre entre États membres au Conseil de l’UE, pourrait autoriser le scan automatique des messages dont le chiffrement est garanti, notamment sur des plateformes comme WhatsApp ou Signal.
Cette perspective inquiète défenseurs des libertés et experts en cybersécurité qui dénoncent une façade destinée à justifier une surveillance de masse, au risque de fragiliser les normes de cryptage.
Mercredi, l’opposition ferme de l’Allemagne a rebattu les cartes. Faute de consensus, "ChatControl" a été retiré de l’ordre du jour du Conseil européen prévu le 14 octobre, illustrant les vives divisions au sein de l’UE sur la frontière entre protection et intrusion. (...)
À ce jour, faute de structure européenne, seuls quelques acteurs signalent volontairement les contenus pédosexuels. Ces signalements transitent alors par le National Center for Missing and Exploited Children (NCMEC) – un centre américain qui centralisait plus de 36 millions de signalements en 2023 –, avant de les renvoyer vers les États membres. Avec "Chat Control", Bruxelles souhaite créer un centre européen dédié et rendre cette détection obligatoire dans toute l’Union.
Le règlement entend pour cela transformer la détection volontaire de contenus pédocriminels en obligation légale pour toutes les plateformes et messageries opérant dans l’UE.
De nombreuses associations de protection de l’enfance, regroupées au sein de la campagne ChildSafetyON, défendent le projet avec vigueur. Selon elles, le règlement CSAR est un "impératif moral et juridique", afin que les plateformes cessent de se soustraire à leur responsabilité face aux violences sexuelles.
Auprès de franceinfo, la Fondation pour l’enfance (qui fait partie de la campagne ChildSafetyON) a par ailleurs contesté les communications alarmantes sur le règlement CSAR, affirmant qu’"il ne s’agit pas d’une surveillance généralisée, mais d’une détection ciblée, limitée et proportionnée".
La disposition la plus controversée, l’introduction possible d’un scanning côté utilisateur (client-side scanning), consisterait en l’inspection automatique des messages avant chiffrement, afin de repérer des contenus illégaux (images, vidéos, liens).
Ces obligations de détection concerneraient non seulement les messageries, mais aussi les plateformes de stockage et d’hébergement, qui pourraient être visées par des "ordres de détection" émis par les autorités.
"La fin de la vie privée en Europe"
Pour de nombreux spécialistes, un tel procédé affaiblirait le chiffrement de bout en bout [garanti notamment sur des messageries comme WhatsApp ou Signal], en créant une "porte dérobée" potentielle. Sont ainsi fréquemment évoqués les risques de faux positifs, d’abus, et de surveillance généralisée.
Sur le site de la campagne StopChatControl, une pétition propose de "Dire non à : la fin de la vie privée en Europe, la surveillance de vos messages privés, l’analyse automatisée de vos photos et vidéos". Au 10 octobre, le compteur affiche quelque 83 545 signatures. (...)
Tandis que la Finlande, la Belgique, les Pays-Bas et récemment l’Allemagne se montrent réticents, la Suède, le Danemark, l’Irlande, l’Italie, l’Espagne, mais aussi la France comptent, eux, parmi les pays favorables. (...)
"Briser le chiffrement de bout en bout rendrait tous les citoyens de l’UE vulnérables aux cybercriminels, aux régimes autoritaires et aux interférences étrangères. Un chiffrement fort est essentiel pour notre sécurité numérique et notre compétitivité économique", lit-on ainsi dans une autre pétition intitulée "Non à Chat Control, outil de surveillance de masse" et déposée mardi sur la plateforme des pétitions de l’Assemblée nationale.
"Tous les algorithmes connus, susceptibles d’être contournés"
Un mois auparavant, plus de 500 chercheurs avaient signé une lettre ouverte alertant que la version actuelle du projet affaiblirait gravement la sécurité numérique et la confidentialité, tout en n’apportant pas de protection significative aux enfants.
"Il n’existe aucun algorithme d’apprentissage automatique capable d’effectuer une telle détection sans commettre un grand nombre d’erreurs (par exemple, il est difficile même pour les humains de faire la distinction entre du contenu pédopornographique et des sextos entre adolescents), et tous les algorithmes connus sont fondamentalement susceptibles d’être contournés", écrivaient-ils.
De manière générale, les juristes estiment que certaines dispositions pourraient contrevenir à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en particulier à ses articles 7 (respect de la vie privée), 8 (protection des données personnelles) et 11 (liberté d’expression et d’information), inspecter un message avant chiffrement revenant, selon eux, à ouvrir une correspondance avant qu’elle n’atteigne son destinataire.
Alors que l’Allemagne a annoncé mercredi ne pas vouloir soutenir un texte autorisant la surveillance de conversations privées, l’avenir du CSAR demeure à ce jour incertain (...)
L’opposition de Berlin fait ainsi basculer le rapport de force, les partisans du texte ne disposant plus des 15 États membres, représentant 65 % de la population européenne, nécessaires à son adoption.
– NON à la mise sur écoute de votre téléphone avec Chat Control