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"On restera avec ces cicatrices" : Boureima, victime de traite d’êtres humains pendant les vendanges en Champagne
#migrants #immigration #vignobles #Champagne #exploitation
Article mis en ligne le 27 juin 2025
dernière modification le 25 juin 2025

Assis aux côtés d’une quarantaine d’autres personnes sur les bancs du tribunal de Chalôns-en-Champagne (nord-est de la France), Boureima Kanoute est l’une des 47 victimes d’une affaire de traite d’êtres humains qui secoue l’industrie de luxe du Champagne. Le procès a eu lieu le 19 juin. Quelques jours plus tard, le Malien de 32 ans a raconté à InfoMigrants ces vendanges qui furent pour lui "traumatisantes".

"D’un côté, on a été soulagés par ce procès. D’un autre côté, vu la maltraitance que l’on a subie, je trouve que les condamnations demandées ne sont pas trop sévères. Les trois personnes qui nous ont fait ça ont reconnu un peu les faits, mais pas tout : parfois elles mentaient, c’était comme des personnes différentes devant le tribunal. Alors que c’était horrible, là-bas.

Le procureur de la République a requis quatre ans de prison, dont deux avec sursis, à l’égard de la gérante de la société de prestataire chargée de la main-d’œuvre. Puis, trois ans de prison dont deux avec sursis pour ses deux hommes de mains. Enfin, 200 000 euros d’amende sont requis contre la société du vigneron. La sanction prévue par la loi pour la traite des êtres humains est de sept ans d’emprisonnement et peut aller jusqu’à dix ans avec la circonstance aggravante de l’avoir commise à l’égard de plusieurs individus.

Moi c’est un ami qui m’a dit qu’ils cherchaient du monde pour faire les vendanges, en septembre 2023. On a payé dix euros pour qu’ils nous emmènent en car depuis Paris dans la Marne. Ils nous ont déposés dans une maison où l’on n’avait pas à manger. C’était dégoûtant de leur part. L’endroit était insalubre, il n’y avait pas de toilettes. Je dormais au dernier étage de la maison, il n’y avait pas d’air. J’avais de la fièvre. Même le jour où j’étais malade, je suis quand même allé travailler. (...)

Chaque matin on se réveillait vers 5h. À 6h, on partait dans les vignes, pour démarrer le travail vers 7h30/8h. Pour nous y amener, ils nous mettaient dans des fourgonnettes comme des animaux, il n’y avait pas de siège, rien, on ne pouvait pas respirer.
"Je n’ai jamais été payé"

Dans les vignes, on subissait beaucoup de pression. Celui qui nous emmenait nous criait dessus, nous insultait, parfois il menaçait de nous frapper. Il fallait monter, redescendre les pentes, les caisses sont très lourdes… À midi, on avait juste un sandwich encore congelé. (...) (...)

Le vigneron savait tout : il ne disait rien parce qu’il savait que c’était interdit. Il savait qu’on avait pas assez de nourriture, pas assez d’eau. Au procès, il a dit : "Des fois je leur ai donné le pain qu’il me restait", franchement…

Ça m’a choqué. Mais lui il s’en foutait, il gagnait bien son argent ; nous on travaillait dur… On nous avait promis 80 euros par jour : je n’ai jamais été payé.

Franchement, c’était triste. Mentalement, je ne peux pas oublier ça. Je ne l’oublierai jamais, de toute ma vie. Je n’ai jamais été dans ces états, alors que j’ai traversé beaucoup de difficultés dans ma vie. Ça m’a traumatisé.

Le délibéré sera rendu le 21 juillet. Pour nous, ça ne va pas changer grand-chose. Même si ces gens sont condamnés, cela ne changera rien à ce qu’ils nous ont fait. Nous, on restera avec ces cicatrices. Certaines images de ce qui nous est arrivé continueront de nous revenir, d’un coup, par moments.
"J’aimerais faire un livre un jour"

J’aimerais faire un livre un jour. Raconter tout ce que j’ai subi, là-bas, dans la Marne. C’est pour ça que pendant l’audience, je prenais beaucoup de notes. Je voudrais raconter aussi ce que j’ai traversé avant d’arriver en France. Ça me ferait plaisir de faire ça, je cherche des gens pour m’aider à construire ce projet.

Car j’ai vu et vécu beaucoup, beaucoup de choses, avant d’arriver à Paris, le 4 janvier 2017 (...)

Mon autorisation de séjour s’arrête en février 2026. Mais notre avocat nous a expliqué que, quand les personnes seront condamnées, on aura la possibilité d’avoir un titre de séjour de dix ans.

Lorsqu’il y a une condamnation définitive de la personne mise en cause dans un procès de traite des êtres humains, cela ouvre le droit à une carte de résident de 10 ans pour les victimes.

Avec l’Ofii [Office français de l’immigration et de l’intégration, ndlr], j’ai pu avoir des cours de français. J’ai un niveau B2. Pour avoir mon attestation, je dois passer, dans les deux ans, le test officiel TCF. Avec ça, j’ai un objectif : passer les examens pour demander la nationalité française."