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Mediapart
« On craint pour nos vies et nos familles » : à Nîmes, les éducateurs luttent contre le manque de moyens
#Nimes #fusillades #educateurs
Article mis en ligne le 7 août 2025
dernière modification le 4 août 2025

Miné par le narcotrafic, et traumatisé par plusieurs fusillades mortelles ces dernières semaines, le quartier de Pissevin à Nîmes subit, comme ailleurs, la désertion des services publics et la réduction des moyens pour les associations. Même la protection judiciaire de la jeunesse perd des postes.

Miné par le narcotrafic, et traumatisé par plusieurs fusillades mortelles ces dernières semaines, le quartier de Pissevin à Nîmes subit, comme ailleurs, la désertion des services publics et la réduction des moyens pour les associations. Même la protection judiciaire de la jeunesse perd des postes. (...)

NîmesNîmes (Gard).– C’est jour de départ. Lundi 28 juillet, une trentaine d’habitant·es du quartier populaire de Pissevin, à Nîmes, s’est réunie dans les locaux de l’association Paseo. Ils et elles s’apprêtent à partir trois jours dans les Cévennes, avec au programme : chantier participatif, baignade à la rivière, puis veillée.

Pour la plupart des participant·es, ce sera non seulement les seules vacances de la famille, mais aussi la première sortie depuis plusieurs semaines. En ce moment, dans le quartier, « il n’y a plus personne dehors », raconte Mikael Brusson, directeur de l’Association pour le développement de la prévention spécialisée (ADPS), qui coorganise le voyage.

En trois semaines, au moins sept fusillades ont eu lieu sous les fenêtres des habitant·es. Tout indique qu’il s’agit de violences liées au narcotrafic. Le 15 juillet, le corps carbonisé d’un jeune garçon de 19 ans a été découvert dans la garrigue entre Nîmes et Alès (Gard). Des clips de l’exécution de la victime ont été diffusés sur les réseaux sociaux. (...)

Ces derniers jours, les effectifs policiers ont bien été renforcés, un couvre-feu a été mis en place pour les mineur·es de moins de 16 ans. Mais, glisse Mikael Brusson, « les CRS ne resteront pas éternellement, le couvre-feu non plus. »

Alors, pour tenter d’éviter, au moins temporairement, l’angoisse qui règne dans le quartier, l’ADPS et Paseo proposent aux habitant·es qui ont « besoin d’oxygène » de s’exiler pour trois jours dans les contreforts des Cévennes. Une heure de route et les voilà au mas de l’Euzière, devant une immense bâtisse, une ancienne magnanerie surplombant la vallée. (...)

Au bord de la rivière où est prévue l’activité baignade, deux éducatrices discutent du dernier rapport en date réalisé sur les jeunes Nîmois qui intègrent le trafic de stupéfiants. Les conclusions de l’enquête sont sans appel : vingt-trois jeunes sur les vingt-cinq interrogés ayant intégré les réseaux de trafic de drogue sont en décrochage scolaire.

Publiée en juin par l’anthropologue et ancien formateur en travail social Thierry Goguel d’Allondans, l’étude a été réutilisée dans un rapport du CREAI-ORS (Centre régional d’études d’actions et d’informations – observatoire régional de la santé) et la Mildeca (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives).

« Ça ne pouvait pas se passer autrement, entre l’abandon des services publics, la grande précarité et le décrochage scolaire, estime Leila, éducatrice de rue et habitante de Pissevin. Un jour, j’ai entendu un jeune demander à son frère qui était guetteur : “Est-ce que tu as fait le virement de 500 euros à maman ?” » (...)

En 2024, Pissevin occupait la quatrième place du classement des quartiers les plus pauvres de France. Plus de 72 % des habitant·es y vivent sous le seuil de pauvreté, et le taux de chômage y est particulièrement élevé, atteignant les 49 %, selon l’Insee.

Partout dans le quartier, ce sont les services de proximité qui ont fermé les uns après les autres. La médiathèque a baissé le rideau en 2023, car les alentours étaient contrôlés par les trafiquants. Le commissariat n’a pas eu le temps d’ouvrir ses portes : il a été incendié le 21 août 2024, un an jour pour jour après la mort de Fayed. (...)

Chute des financements

Allongée sur les rochers, Chloé*, 18 ans, écoute d’une oreille la discussion. Elle habite à Pissevin depuis toujours. Quand on lui parle de l’évolution du quartier, elle tranche : « Il n’y a eu aucune évolution, la délinquance a même empiré. Vu qu’ils ont abandonné le quartier pendant un moment, ils [les trafiquants – ndlr] ont fait leur loi. »

Elle aussi a arrêté de sortir avec ses amies dans le quartier. « Quand tu as la possibilité et que tu choisis de rester chez toi, ça va, mais quand on te force à rester, ce n’est pas la même chose », soupire Chloé.

Pour les professionnel·les du travail social, l’approche répressive n’est pas le remède, bien que la présence policière ait rassuré une partie des habitant·es. « La solution, c’est de donner des moyens humains, insiste Marion Laibe. Il faudrait qu’on soit beaucoup plus pour agir auprès des familles du territoire. Et puis ça permettrait de moins fatiguer les équipes : j’ai de très bons professionnels qui s’en vont au fur et à mesure. » (...)

Trois ans plus tôt, l’État avait débloqué un financement de près de 550 000 euros pour l’ADPS, dans le cadre du plan contre la pauvreté et de relance après la crise du covid. Une subvention sur trois ans, qui représentait environ 40 % du budget total de l’association. Faute de renouvellement, ce sont huit postes d’éducateurs qui se sont envolés.

Pour l’ADPS, cela représente près de la moitié des effectifs – l’équipe était composée ces dernières années de dix-sept éducateurs et éducatrices. (...)

Trois postes en moins à la PJJ

En septembre, les équipes de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) vont quant à elles perdre trois postes d’éducateurs, dont deux à Nîmes. Leur mission : accompagner les mineur·es suivi·es dans le cadre d’une décision judiciaire.

« La direction territoriale et régionale considère que l’activité n’est pas assez importante. Et le discours national, c’est de prévoir la fermeture [temporaire – ndlr] du centre éducatif fermé et la redistribution des effectifs, explique Yoann Chauvin, éducateur en milieu ouvert à Nîmes. Ils en retirent à un endroit pour les mettre à un autre, et au jour le jour. »

Selon cet élu au bureau national de la CGT-PJJ, ce sont cinquante jeunes à Nîmes qui pourraient n’être pas suivi·es à la rentrée. De son côté, la direction de la PJJ a affirmé que s’il y avait des besoins à Nîmes, elle affecterait à l’équipe des contractuel·les, parlant ainsi de « répartition des moyens » entre les territoires. (...)

« C’est aussi que les travailleurs sociaux ne sont pas indispensables. Médiatiquement, il faut une réponse. Donc la réponse, c’est d’envoyer l’armée et les CRS, et on fait quoi après ? On recommence. » (...)

Les travailleurs et travailleuses déplorent aussi une absence de moyens pour les activités à proposer. « On n’a plus de fric pour manger avec des gamins, on n’a quasiment plus de formations parce qu’on n’a plus aucun argent », s’agace Laetitia Cantaloube, assistante sociale à la PJJ depuis près de quinze ans, et syndiquée à la CGT-PJJ.

Après les derniers événements, le département a débloqué 100 000 euros pour les associations locales, notamment afin de « sortir les enfants sur place du quartier », comme le raconte Amal Couvreur, élue nîmoise chargée de la prévention spécialisée au département et à la région, qui a quant à elle débloqué 60 000 euros.

Assistante sociale de formation, elle déplore aujourd’hui un désengagement des politiques publiques pour les banlieues nîmoises. « Ces quartiers ont été laissés à l’abandon pendant des années. On dirait qu’il y a deux mondes : le centre-ville, et les quartiers. » Selon l’élue, l’État va mettre des moyens supplémentaires, « mais ce n’est jamais assez, on a des années et des années de retard ».