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Observatoires douteux, centres de recherche improbables : quand l’extrême droite se fabrique des cautions scientifiques
#extremedroite #thinktanks #medias #OID
Article mis en ligne le 31 mars 2025
dernière modification le 27 mars 2025

Observatoires de l’immigration et de la démographie, de l’éthique universitaire, du journalisme, ou des violences politiques, centre de recherches sur la sécurité intérieure ou sur le « frérisme » : depuis plusieurs années, ultraconservateurs et militants d’extrême droite multiplient les créations de think tanks à prétention scientifique. Dans ce premier volet d’une série en deux parties, Blast se penche sur l’Observatoire de l’immigration et de la démographie, régulièrement cité par la presse et les médias mainstream en dépit de la légèreté de sa production.

Ce 17 janvier 2025, Le Point n’est pas peu fier de son scoop. « Exclusif », fanfaronne l’hebdomadaire conservateur du groupe Pinault. Le titre fait froid dans le dos : « 580 millions de personnes dans le monde éligibles au droit d’asile » en France. Bigre, cela fait quand même plus de huit fois la population de l’Hexagone qui déferlerait potentiellement dans notre beau pays. Une vraie « submersion migratoire » en puissance qui a de quoi faire trembler dans les chaumières de France et de Navarre.

D’où sort ce chiffre ? D’une note de l’Observatoire de l’immigration et de la démographie (OID), que le magazine est donc fier de publier « en exclusivité », car, précise Le Point : « Le think tank documente avec précision, après des mois de recherches et d’études, l’ampleur et les causes des dérives du droit d’asile en France. »
Plus de la moitié des populations d’Afghanistan et de Syrie potentiellement réfugiés en France, selon l’OID (...)

« Je n’ai pas lu cette note, mais ça ne me semble pas très sérieux,, nous confie Patrick Simon, sociodémographe à l’Institut national d’études démographiques, (INED, établissement de recherches public). Comptabiliser avec une telle précision les personnes qui, dans chaque pays, seraient éligibles au droit d’asile demanderait des études bien plus poussées dans chacun des pays. Ensuite, cela n’a pas grand sens et reste purement théorique : il ne va pas y avoir tout d’un coup des centaines de millions de personnes qui vont débouler en France et demander l’asile. (...)

L’observatoire cité comme référence sur BFM, Marianne et France Culture

L’OID présente pourtant toutes les apparences de sérieux et de rigueur. « Nous apportons une vision rationnelle et dépassionnée, fondée sur la rigueur scientifique et l’indépendance politique », assure son site. Et ça marche : on ne compte plus ? les médias où les notes de l’organisme sont citées comme des références fiables. Ceux de la fachosphère bien sûr, dont ceux de Bolloré, mais aussi Le Figaro, Marianne, Challenges, Le Point, et pour l’audiovisuel BFM et même France Culture, où Alain Finkielkraut a complaisamment tendu le micro au directeur de l’OID, Nicolas Pouvreau-Monti, présenté comme un expert matière d’immigration et de démographie le 15 mars dernier. (...)

Caution de l’OID : des « centres de recherche » états-uniens fondés par un eugéniste blanc

L’OID se dit membre d’un réseau international de recherches sur l’immigration, l’International network for immigration research. Ça fait chic, ça fait sérieux, mais qu’est-ce que ce réseau ? Hormis l’OID, on y trouve seulement quatre instituts de recherche, dont un seul en Europe, le Migration research institute, basé dans le pays le plus anti immigration, la Hongrie, où le président d’extrême droite Viktor Orban a mis au pas pratiquement toute la recherche scientifique.

Y figure également l’Israeli immigration policy center, dirigé par un ancien conseiller spécial de deux ex-ministres de l’Intérieur israéliens ultraorthodoxes du gouvernement Netanyahu entre 2021 et 2023, et deux instituts américains, le Center for immigration studies et Numbers USA tous deux fondés par John Tanton, un militant raciste anti immigration, décédé en 2019, proche des suprémacistes blancs – il avait notamment entretenu une correspondance avec un avocat du Ku Klux Klan - et membre du conseil d’administration d’un magazine niant le génocide nazi. De quoi douter de « l’indépendance politique » de l’OID.

Dans le conseil scientifique, des soutiens du magazine d’extrême droite Frontières (...)

Le démographe Patrick Simon a scruté de près cet observatoire. Sa conclusion est sans appel : « Parmi ses membres, on ne compte aucun chercheur spécialiste de la démographie et de l’immigration, excepté Gérard-François Dumont. » Lequel est effectivement un géographe et démographe aux convictions anti-immigration radicales connues depuis 40 ans (...)

Un contresens mathématique indigne d’un chercheur crédible

Si l’observatoire se targue de travailler à partir de sources sérieuses et officielles, « il sélectionne soigneusement les données en fonction de ce qui va aller dans le sens de ce qu’il veut démontrer, à savoir qu’il y a une submersion migratoire incontrôlable », estime Patrick Simon. Et surtout, pour un think tank qui se veut sérieux et dépassionné, il lui arrive de faire des erreurs de débutants dont les notions mathématiques et statistiques n’ont pas dépassé le stade de la classe 3ème.

Ainsi, dans une étude sur le logement social, l’auteur lit un peu vite une statistique officielle et fait un contre-sens, analyse Patrick Simon. « Il écrit que 57 % des logements sociaux sont occupés par des Africains subsahariens. Or, le vrai chiffre c’est que 57 % des Subsahariens de France vivent dans un logement social. Ce n’est pas la même chose. » (...)

Dis-moi qui te finance

Dis-moi qui te finance, je te dirai qui tu es. L’OID a en effet un mécène, qui n’est pas tout à fait désintéressé. : le milliardaire catholique intégriste Pierre Édouard Stérin, dont le patrimoine est estimé à 1,4 milliard d’euros par le magazine Challenges. Ayant fait fortune en refourguant des produits aussi futiles que les coffrets cadeaux Smartbox, ce catholique anti-avortement, souverainiste et « patriote » (mais exilé fiscal en Belgique) a mis l’essentiel de son patrimoine au service du « redressement » de la France. (...)