
Une nouvelle ruée minière a commencé et touche aussi la France. Au nom de la lutte contre la crise climatique, il faudrait extraire de plus en plus de métaux. Celia Izoard dénonce l’impasse de cette « transition » extractiviste. Entretien.
Celia Izoard : Les volumes de métaux extraits dans le monde aujourd’hui augmentent massivement, et n’ont jamais cessé d’augmenter. Ce qui est parfaitement logique puisqu’on ne cesse de produire de nouveaux objets et de nouveaux équipements dans nos pays riches, notamment avec la numérisation et aujourd’hui l’intelligence artificielle, et qu’en plus de cela le reste du monde s’industrialise.
En conséquence, on consomme de plus en plus de métaux, et des métaux de plus en plus variés – aussi bien des métaux de base comme le cuivre et l’aluminium que des métaux de spécialité comme les terres rares. Ces derniers sont utilisés en très petite quantité mais dans des objets qui sont partout, comme les smartphones, et de façon trop dispersive pour permettre le recyclage.
Et la production de tous ces métaux devrait continuer à augmenter ?
Oui, car rien ne freine cette production, d’autant plus qu’on y ajoute aujourd’hui une nouvelle demande qui est un véritable gouffre : celle de métaux pour le projet très technocratique de la transition. « Transition », dans l’esprit de nos élites, cela signifie le remplacement des énergies fossiles par l’énergie électrique – donc avec des énergies renouvelables et des batteries – avec un modèle de société inchangé. Mais, par exemple, la batterie d’une voiture électrique représente souvent à elle seule 500 kg de métaux (contre moins de 3 kg pour un vélo électrique). (...)
c’est le grand paradoxe. Les élites politiques et industrielles répètent que la mine n’a jamais été aussi propre, qu’elle a surmonté les problèmes qu’elle créait auparavant. Mais si l’on regarde comment fonctionne réellement le secteur minier, c’est exactement l’inverse que l’on constate. La mine n’a jamais été aussi énergivore, aussi polluante et aussi radicale dans ses pratiques, qui peuvent consister à décapiter des montagnes ou à faire disparaître des vallées sous des déchets toxiques.
C’est lié au fait que les teneurs auxquelles on va chercher les métaux sont de plus en plus basses (...)
pour des siècles : des déchets qui peuvent acidifier les eaux, charrier des contaminants un peu partout.
Les résidus miniers vont s’entasser derrière des barrages qui peuvent provoquer de très graves accidents, qui sont sources de pollution, et qui sont difficilement contrôlables sur le long terme. Nous assistons aujourd’hui à une véritable escalade technologique qui est aussi une escalade de la prédation minière. La mine est aujourd’hui une des pointes avancées de ce qu’on a pu appeler le capitalisme par dépossession. (...)
Il y a un déni spectaculaire, qui repose sur deux facteurs. Le premier est la religion de la technologie, l’une des idéologies dominantes du monde capitaliste. (...)
Le second facteur est géopolitique. Aux grandes heures du néo-libéralisme, le déni de la mine était un pur produit de notre mode de vie impérial. Les puissances occidentales avaient la possibilité de s’approvisionner à bas coût, que ce soit par l’ingérence politique, en soutenant des dictatures, ou par le chantage à la dette et les politiques d’ajustement structurel. Ce sont ces politiques qui ont permis d’avoir par exemple du cuivre du Chili, de Zambie ou d’Indonésie si bon marché. (...)
. La récente loi européenne sur les métaux critiques répond aux besoins des grosses entreprises européennes, que ce soit pour l’automobile, l’aéronautique, l’aérospatiale, les drones, des data centers. (...)
L’argument d’une ruée minière pour produire des énergies renouvelables permet de verdir instantanément toute mine de cuivre, de cobalt, de lithium, de nickel ou de terres rares. Il permet de justifier les coûts politiques de la diplomatie des matières premières : c’est-à-dire les conflits liés aux rivalités entre grandes puissances pour accéder aux gisements. Mais par ailleurs, cette transition fondée sur la technologie et le maintien de la croissance est bel et bien un gouffre pour la production minière. (...)
On est en train de créer un régime d’exception minier, avec un abaissement des garde-fous réglementaires et des formes d’extractivisme de plus en plus désinhibées, et en parallèle on culpabilise les gens. La culpabilisation est un ressort psychologique très puissant, on l’a vu durant le Covid. On dit aux gens : « Si vous n’acceptez pas des mines sur notre territoire, alors on va les faire ailleurs, aux dépens d’autres populations, dans des conditions bien pires. » Or c’est faux. D’abord, la mine propre n’existe pas. (...)
Si l’on considère la réalité des mines aujourd’hui, les procédés utilisés, leur gigantisme, leur pouvoir de destruction, on voit bien qu’une mine est intrinsèquement problématique, intrinsèquement prédatrice : ce n’est pas qu’une question de décisions politiques ou d’investissements. L’idée de « mine responsable » n’est autre qu’une tentative de faire accepter l’industrie minière à des populations en prétendant que « tout a changé. (...)
La transition aujourd’hui, c’est avant tout du temps gagné pour le capital et pour les grandes entreprises. Les rendez-vous qu’ils nous promettent pour 2050 et leurs promesses de zéro carbone sont évidemment intenables. Les technologies et l’approvisionnement nécessaire en métaux n’existent pas, et s’ils existaient, cela nous maintiendrait sur la même trajectoire de réchauffement climatique.
Ces promesses ne tiennent pas debout, mais elles permettent de repousser à 2050 l’heure de rendre des comptes. (...)
Peu de gens savent qu’en 2021, la Commission européenne a signé avec l’Ukraine un accord de partenariat visant à faire de ce pays une sorte de paradis minier pour l’Europe. L’Ukraine possède de fait énormément de ressources convoitées par les industriels, qu’ils soient russes, européens et américains. Cela a joué un rôle dans le déclenchement de la guerre. On voit bien que pour, pour accéder aux gisements, on va engendrer des conflits, militariser encore plus les relations internationales, ce qui va nécessiter de produire des armes de plus en plus sophistiquées, et donc d’extraire de plus en plus de métaux, et donc sécuriser l’accès aux gisements, et ainsi de suite. (...)
. Il faut cesser de traiter le sous-sol comme un magasin, de faire primer l’exploitation du sous-sol sur tout le reste, et en particulier sur les territoires et le vivant. (...)