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Afrique XXI
Médecins étrangers en France. Déclassement et dumping social
#medecinsEtrangers #dumpingsocial #immigration
Article mis en ligne le 16 décembre 2025
dernière modification le 14 décembre 2025

Si la migration médicale fait souvent l’objet de débats autour de « la fuite des cerveaux » dans les pays de départ et des « déserts médicaux » dans les pays d’arrivée, les intentions et les usages politiques du phénomène, à des fins économiques, ont été peu analysés.

Recrutés à partir des années 1980 pour pallier la pénurie de médecins provoquée par les réformes visant la réduction du coût des soins de santé, les médecins étrangers, notamment les Africains originaires et diplômés de pays francophones (dont beaucoup d’Algériens), voient leur nombre augmenter d’année en année, avec un pic observé pendant la période de la crise sanitaire de 2020. Leur présence continue depuis près de quarante ans, devenue indispensable au fonctionnement des hôpitaux, fait pourtant l’objet de mesures discriminatoires.

Bien qu’ils soient déjà diplômés et souvent expérimentés au moment de leur recrutement, les médecins étrangers sont systématiquement engagés sous des statuts précaires, en particulier les Padhue, c’est-à-dire les Praticiens à diplôme hors Union européenne. Ces derniers exercent en tant que « stagiaire associé » jusqu’à la réussite aux EVC (épreuves de validation des connaissances), concours assurant le contrôle du niveau de compétence médicale, sanctionné par l’obtention d’une autorisation temporaire d’exercice et le statut de « praticien associé ». Commence alors pour eux un parcours de consolidation des compétences de deux ans minimum, qui s’achève par le passage devant une commission. C’est seulement à ce moment que le médecin peut demander à être inscrit à l’Ordre.

Précarisation statutaire et administrative

Tandis que l’hôpital précarise par le recours à des statuts précaires et contractuels, la préfecture le fait par le titre de séjour, calqué sur les contrats de travail, d’une durée de six mois renouvelables pour les stagiaires associés et d’un an pour les praticiens associés. Du fait des lenteurs administratives, aggravées par la dématérialisation des démarches, il n’est pas rare que les médecins se retrouvent en situation irrégulière.

Cette indexation du séjour à l’emploi a pour effet d’établir un certain rapport de force et une relation particulière au travail et à l’établissement employeur. (...)

Pour les stagiaires associés qui travaillent donc avec des contrats d’une durée de six mois, il est impossible de renouveler les contrats au-delà de deux années révolues. En cas d’échec aux EVC, il leur faut changer d’hôpital (article 3 de l’arrêté du 16 mai 2011). Enfin, le salaire des médecins diplômés en dehors de l’Union européenne, à cause de leur statut administratif et de leur échelon (lié à l’ancienneté), est très nettement inférieur à celui de leurs homologues français/européens, qu’ils ne rattrapent que partiellement une fois leur parcours de consolidation achevé

Un manque d’ancrage social et professionnel (...)

Ce manque de reconnaissance, de rémunération juste, de stabilité et de facilitation administrative – notamment pour le regroupement familial – produit une absence d’ancrage socioprofessionnel.

C’est ce que révèlent différentes études sociologiques réalisées auprès de travailleurs migrants, selon lesquelles les travailleurs étrangers connaissent des modes de vie écartelés entre un « ici », espace de travail avant tout, qui reste peu investi symboliquement, et un « là-bas », espace de vie sociale et affective, fortement investi. (...)

Ainsi, parce qu’ils ont la tête et le cœur ailleurs, les médecins étrangers ne sont pas dans les mêmes dispositions que leurs collègues nationaux et ils ne vivent pas leur rapport au travail de la même manière.

Aussi, le déplacement du médecin de son pays d’origine vers un pays d’immigration crée un différentiel multidimensionnel qui a pour conséquence de dénuer sa profession de ses autres dimensions sociales, culturelles et politiques pour n’en faire, à la fin, qu’un travail. (...)

Quelle conscience collective pour quel militantisme ?

Ces divergences dans les représentations du travail ne sont évidemment pas en faveur d’une conscience collective et/ou d’une mobilisation militante. Ainsi les médecins étrangers peuvent ne pas se sentir concernés par les réformes, même lorsqu’ils en subissent directement les conséquences. Et il est peu probable qu’ils aient, dans les conditions qui sont les leurs, un sentiment de légitimité à participer aux mouvements syndicaux et à la vie politique en général.