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Mediapart
Mains rouges au Mémorial de la Shoah : une ingérence étrangère, mais laquelle ?
#shoah #antisemitisme
Article mis en ligne le 27 mai 2024

L’enquête de police a permis de remonter aux trois auteurs des trente-cinq pochoirs peints sur le mur des Justes à Paris. Le mode opératoire confirme que la France a été une nouvelle fois la cible d’une ingérence étrangère, sans pouvoir incriminer la Russie.

DansDans la nuit du 13 au 14 mai, trente-cinq mains rouges étaient peintes au pochoir sur le mur des Justes du Mémorial de la Shoah, à Paris. Au lendemain de leur découverte, sous les plaques listant les noms de Justes ayant sauvé des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, des responsables avaient dénoncé un acte de vandalisme antisémite.

Lors de manifestations propalestiniennes, des étudiants de Sciences Po avaient exhibé leurs mains rouges. Un symbole qui avait enclenché alors une polémique, puisqu’il renvoie pour certains au massacre à mains nues par la foule de deux soldats israéliens en octobre 2000, au début de la seconde Intifada. (...)

Concernant les pochoirs sur le mur des Justes, une enquête était confiée à la sûreté territoriale pour dégradation aggravée par la circonstance de discrimination en raison de l’appartenance vraie ou supposée à une origine, ethnie, race ou religion, du fait de la symbolique du support ainsi dégradé, un délit passible de quatre ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. (...)

Comme le confirme à Mediapart le parquet de Paris, l’exploitation de la vidéosurveillance a permis de retracer le cheminement de trois personnes – deux graffeurs et un complice chargé de filmer la scène – dans la nuit de la commission des faits jusqu’à un hôtel du XXe arrondissement, puis leur départ vers la gare routière de Bercy, et enfin leur montée dans un autocar FlixBus en partance pour la Belgique. Les réservations avaient été effectuées depuis la Bulgarie. (...)

Le mode opératoire rappelle furieusement l’affaire dite des étoiles de David, qui avait suscité déjà des polémiques à l’automne dernier. Des centaines d’étoiles de David bleues avaient été marquées au pochoir sur les murs de bâtiments situés en région parisienne entre le 27 et le 31 octobre.

Les investigations de la sûreté territoriale de Paris avaient permis d’établir que ces inscriptions ont été faites par un homme et une femme, au cours d’un parcours unique. Sur des images de vidéosurveillance, on les aperçoit en compagnie d’une troisième personne en train de photographier leurs dégradations.

Les policiers avaient déterminé que les deux auteurs de ces marquages, un couple de Moldaves, avaient quitté le territoire français dès le lendemain après-midi… dans un FlixBus (une seconde équipe, aussi un couple de Moldaves, avait été interpellée). Le commanditaire présumé de l’opération était un Moldave connu pour sa sympathie prorusse. (...)

Le commanditaire demeure inconnu

S’il n’est pas contestable qu’il y a une recrudescence des actes antisémites en France depuis l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre et la riposte d’Israël sur Gaza, le mode opératoire employé rappelait en effet les « mesures actives » (« aktivinyye meropriata ») qui ont pour objectif de discréditer l’ennemi. Les pochoirs des étoiles de David font écho à l’une des mesures actives les plus célèbres du KGB, celle qu’on a surnommée « l’épidémie des svastikas ».

Comme l’avait évoqué à l’automne sur X (anciennement Twitter) l’universitaire Maxime Audinet (chercheur à l’Institut de recherche stratégique à l’École militaire, qui a consacrée sa thèse soutenue en 2020 à l’influence internationale de la Russie), le KGB avait supervisé en 1959 et 1960, une campagne clandestine d’affichage de slogans antisémites et de croix gammées en République fédérale d’Allemagne et dans d’autres pays du bloc occidental, parallèlement à une explosion bien réelle d’actes antisémites dans le monde survenue après la profanation de la synagogue de Cologne à Noël 1959. Le but ? Discréditer la RFA auprès de ses partenaires occidentaux en suggérant une résurgence nazie, afin de retarder ou d’empêcher son réarmement.

Ces derniers mois, avec le changement de posture diplomatique d’Emmanuel Macron à l’égard de la Russie, la France est la cible de plusieurs opérations d’ingérence (...)

La réponse n’est peut-être pas à chercher du côté de la tête d’un État.

Contacté, Kevin Limonier, maître de conférences à l’Institut français de géopolitique (université Paris VIII) et directeur adjoint du centre Géode (Géopolitique de la datasphère), souligne que les ingérences sont devenues « un véritable secteur de l’économie russe » avec des parts de marché à gagner.

« Dès lors, le commanditaire n’est pas forcément à chercher parmi les dignitaires du régime. Il peut s’agir de quelqu’un qui a voulu surenchérir pour se faire remarquer, décrocher un contrat. Cette opération est une récidive, cela manque d’originalité, d’imagination. La première édition a été un succès. Quelqu’un s’est dit : on va recommencer, puisque ça a marché. »