
Le président de la République n’a finalement pas prononcé, à l’occasion des trente ans du génocide des Tutsis, le discours que l’Élysée avait publiquement promis. Bien plus qu’un « couac » aujourd’hui avancé, cette cacophonie révèle des divisions internes.
L’incroyable cacophonie autour des mots qu’Emmanuel Macron n’a finalement pas prononcés sur la responsabilité de la France dans le génocide des Tutsi·es au Rwanda – contrairement à ce que l’Élysée avait publiquement annoncé – révèle des divisions internes à la présidence de la République sur le sujet. Ces dernières vont bien au-delà du simple « couac » de communication aujourd’hui avancé, selon plusieurs sources concordantes.
L’épisode, qui n’a pas pour théâtre un amendement raté au Parlement ou une nomination ministérielle hésitante, mais un génocide qui a provoqué l’extermination de près d’un million de personnes en cent jours, s’est déroulé en trois actes.
Acte I : à l’occasion de l’approche de la commémoration des trente ans du génocide des Tutsi·es, l’équipe de relations avec la presse de l’Élysée a fait suivre, le 4 avril, à une poignée de journalistes, un message annonçant qu’Emmanuel Macron s’exprimerait trois jours plus tard, le dimanche 7, soit le jour anniversaire du déclenchement des massacres. Le président de la République dirait dans une vidéo, poursuivait l’équipe de communication, « que la France, qui aurait pu arrêter le génocide avec ses alliés occidentaux et africains, n’en a pas eu la volonté ». Des éléments « utilisables dès à présent » par la presse, précisait le message.
Ces éléments sont effectivement diffusés sans attendre par les journalistes, notamment dans une dépêche de l’Agence France-Presse (AFP). La déclaration de l’Élysée apparaît immédiatement comme un événement d’ampleur (...)
Acte II : le jour J, le dimanche 7 avril, le chef de l’État s’exprime comme prévu, mais ne dit rien des mots promis par ses propres services, comme l’avait annoncé quelques heures avant un journaliste de La Croix. « Je crois avoir tout dit ce 27 mai 2021 quand j’étais parmi vous. Je n’ai aucun mot à ajouter, aucun mot à retrancher de ce que je vous ai dit ce jour-là », se contente face caméra Emmanuel Macron, renvoyant à ses précédents propos, qu’aucun autre président n’avait, il est vrai, jamais prononcés avant lui.
Acte III : le service de presse de l’Élysée, interrogé sur cette incroyable dissonance et le rétropédalage présidentiel, parle aujourd’hui d’un « couac ». Selon Le Monde, la présidence « assume un faux pas de communication », plaidant « une incompréhension entre l’Élysée et les journalistes, un non-événement ».
Emmanuel Macron face à la cellule diplomatique de l’Élysée
Fin de l’histoire ? Pas si sûr. Selon plusieurs sources informées, le texte évoqué par l’Élysée le 4 avril existe bel et bien : il a été rédigé par les conseillers de la présidence avant d’être communiqué à la presse. (...)
Selon nos informations, c’est Emmanuel Macron en personne qui a finalement refusé de prononcer devant la caméra les mots inédits qui lui avait été prêtés. Ceux communiqués aux journalistes n’avaient vraisemblablement pas été personnellement validés par celui qui prend soin, depuis son premier quinquennat, à ne pas froisser les anciens mitterrandiens en cour au palais ou les ex-responsables militaires qui pouvaient craindre d’être trop exposés, y compris judiciairement. (...)
fracture interne semble désormais se faire jour à l’Élysée sur la question rwandaise. Certains évoquent les initiatives d’une partie de la cellule diplomatique, tandis qu’une autre source rappelle que le discours qu’Emmanuel Macron n’a finalement pas prononcé correspond aux positions de l’ambassadeur de France au Rwanda, Antoine Anfré.
Ce dernier fut, en 1994, l’un des rares agents du Quai d’Orsay à avoir alerté sur les dangers des positions françaises, mais c’est aussi celui qui, le 19 juillet 2021, avait écrit dans le livre d’or du mémorial de Gisozi, au Rwanda : « Le génocide des Tutsis n’aurait pas eu lieu si nous avions eu une autre politique. » Soit, peu ou prou, ce que le chef de l’État devait dire.