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Mediapart
Lucas, mort à l’hôpital d’Hyères, une plainte pour « homicide involontaire » déposée
#sante #hopitalpublic #urgences #mortalite
Article mis en ligne le 20 décembre 2023
dernière modification le 18 décembre 2023

Lucas, 25 ans, est mort d’un choc septique dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre 2023 aux urgences de l’hôpital d’Hyères. Son dossier médical et des témoignages recueillis par Mediapart révèlent une série de dysfonctionnements dans sa prise en charge.

« Nous voulons que toutes les responsabilités ayant mené à la mort de Lucas soient clairement établies et qu’une telle tragédie ne se répète plus dans la France du XXIe siècle. » Dans le salon coloré de sa maison de village, assise juste devant l’urne noire contenant les cendres de son fils, Corinne Godefroy a le regard fixe et déterminé malgré la douleur qui l’étreint.

Selon les informations de Mediapart, le 12 décembre, avec cinq autres membres de sa famille, elle a déposé plainte auprès du tribunal judiciaire de Toulon pour « homicide involontaire ». Dans le viseur de cette procédure pénale, le centre hospitalier d’Hyères (Var), son directeur Yann Le Bras et toute personne ayant « par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité », causé involontairement la mort d’un des fils de Corinne Godefroy. (...)

Dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre, Lucas Mannina, jeune technicien hydraulique, supporter de l’Olympique de Marseille, qui venait d’avoir 25 ans, est mort des suites d’une infection méningocoque de sérogroupe W135, une bactérie qui s’est logée dans son abdomen. Toutefois, rapidement après le décès du jeune homme, les membres de sa famille relèvent une série de signaux leur indiquant l’anormalité de ce décès.

Interrogée, la direction du centre hospitalier d’Hyères nous a indiqué s’associer « à l’émotion qu’a suscitée ce décès auprès de la famille » et lui avoir présenté ses condoléances. « Si comme vous l’indiquez une plainte a été déposée, nous collaborerons pleinement à l’enquête menée par l’autorité compétente », ajoute la direction, qui refuse toutefois de « divulguer les détails du dossier du patient » au nom du secret médical.

« Le lendemain de la mort de Lucas, un médecin du Smur [structure mobile d’urgence et de réanimation – ndlr] ayant pratiqué un massage cardiaque à Lucas nous a vivement conseillé de récupérer son dossier médical, raconte Corinne Godefroy, qui a travaillé plus de dix ans dans le secteur de la santé. L’un des responsables des urgences nous a quant à lui conseillé de déposer plainte en nous disant que les infirmiers avaient menacé de se mettre en grève suite à ce qui s’était passé. »

Quelques jours plus tard, la famille retrouve déposée dans la boîte aux lettres de l’appartement de Lucas une partie du dossier médical de celui-ci avec des résultats originaux. L’envoi, bien qu’anonyme, portait le tampon des urgences de l’hôpital d’Hyères. « C’est au regard de ces éléments et des incohérences que nous avons relevées dans le dossier médical complet que nous a finalement remis l’hôpital que nous avons décidé de déposer plainte », explique Corinne Godefroy.

Des douleurs « abominables » (...)

Pris en charge par les pompiers, Lucas arrive au service des urgences du centre hospitalier d’Hyères à 15 h 50, ses lèvres ayant viré au bleu. Dans leur rapport, les pompiers font état d’un rythme cardiaque élevé et d’une tension artérielle basse. Ils précisent également que Lucas souffre de « douleurs abdominales », de « vomissements », de « faiblesse » et de « douleur costale ». Pourtant, l’agent hospitalier en charge de la réception de Lucas indiquera simplement que ce dernier a des douleurs abdominales et des vomissements.

Le jeune homme est alors placé sur un brancard, situé dans un couloir du service, sans voir de médecin. À 16 h 09, une mesure de sa fréquence cardiaque confirme le rythme élevé des battements de son cœur, tout comme un électrocardiogramme réalisé à 17 h 25, dont les résultats sont jugés anormaux.

À 18 h 02, Lucas envoie un message à sa mère, qui patiente hors de l’hôpital avec son père et sa compagne, dans lequel il assure qu’il se plaint à tout le monde qu’il a du mal à respirer mais que « personne ne fait rien ». Une minute plus tard, le jeune homme confie à sa mère ne pas savoir quoi faire, se sentir très faible, ressentir une grande douleur au niveau de sa cage thoracique. « Ils ne savent pas quand il y aura un médecin de dispo », termine-t-il. (...)

À 18 h 20, soit deux heures et demie après son admission aux urgences, une prise de sang est réalisée. Elle ne sera pas analysée sur place dans la foulée, mais envoyée au laboratoire du centre hospitalier intercommunal de Toulon-La Seyne (Chits), situé à Toulon. Pourtant distant de seulement quelques kilomètres, ce laboratoire ne réceptionnera le prélèvement que deux heures plus tard, à 20 h 25. (...)

Les résultats sont alarmants. (...) Lucas est victime d’une grave infection bactérienne.

Le dossier médical indique que ces résultats ont été « téléphonés » aux urgences d’Hyères. Dans un courrier adressé le 4 décembre 2023 à la famille de Lucas, l’hôpital d’Hyères assure qu’« après attache auprès du laboratoire, l’appel au service des urgences d’Hyères n’a pas été tracé dans leur dossier informatique ». Le centre hospitalier intercommunal de Toulon-La Seyne, quant à lui, n’a pas donné suite à nos sollicitations.

L’état du jeune homme empire

À partir de 18 h 30, Damien Arnoux, moniteur de planche à voile de 25 ans, est placé à côté de Lucas, après avoir été emmené par les pompiers aux urgences d’Hyères pour une douleur de dos sur son lieu de travail. Témoin de ce qu’a vécu Lucas, il en a été bouleversé. « Lucas n’arrêtait pas de souffrir. Il soufflait, gémissait, se retournait sur son brancard, disait aux infirmiers qu’il n’allait pas bien », se souvient Damien. En vain. (...)

Entre-temps, vers 21 h 30, Lucas a fait un malaise vagal. « Il s’est adossé au mur, puis s’est effondré, les yeux dans le vide et la tête de travers, se rappelle Damien, encore sous le choc. Deux infirmières sont passées devant lui sans le regarder. J’ai alors alerté un infirmier derrière moi, qui lui a pris la tension, elle était à 5,3. » Devant l’insistance de cet infirmier, le médecin demande de placer Lucas dans une salle de « déchoc » où le personnel hospitalier peut circuler autour du patient.

Un infirmier sort de la salle de déchoc en hurlant parce qu’il n’y avait pas d’adrénaline. Tout le monde court dans tous les sens pour en chercher dans l’hôpital.

Damien Arnoux, témoin

Entre le malaise de Lucas et son placement dans la salle, il se passe au moins un quart d’heure. Damien entend la cadre de santé au téléphone tenter de transférer Lucas à l’hôpital Sainte Musse à Toulon. « Elle était en train d’appeler, en disant qu’ici il n’y avait ni bloc ni chirurgien. » Selon le dossier médical de Lucas, un chirurgien viscéral donnera un avis à 23 h 05. De son côté, le médecin qui a pris le relais dans la prise en charge de Lucas note dans le dossier du jeune homme qu’à 21 h 37, il n’a pu être « scopé », c’est-à-dire voir ses données vitales suivies en permanence grâce à des appareils, « faute de place ».

C’est le début de la fin pour Lucas. Des antibiotiques ne lui seront prescrits qu’à 23 heures, puis administrés entre trois quarts d’heure et une heure et demie plus tard. L’état de Lucas se détériore encore, il enchaîne les arrêts cardiaques et doit aller en réanimation, mais est trop faible pour être transféré. Une équipe du Smur, appelée pour effectuer ce transfert qui n’aura jamais lieu, arrive toutefois sur place. Damien est une nouvelle fois témoin d’une scène kafkaïenne. « Un infirmier sort de la salle de déchoc en hurlant parce qu’il n’y avait pas d’adrénaline. Tout le monde court dans tous les sens pour en chercher dans l’hôpital. Rien ! C’est finalement dans l’ambulance du Smur qu’un infirmier en a trouvé, revenant avec quatre petits flacons ! »

Mais il est trop tard. Après un massage cardiaque de plus de quarante-cinq minutes, Lucas, dans le coma, meurt d’un choc septique le 1er octobre, à 2 heures du matin. Tout s’arrête. (...)

Correctement traitée, une infection par méningocoque est guérie dans 90 % des cas.