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CNRS
Lise Foisneau, sur la route des gens du voyage
#racisme #romophobie #gensduvoyage #Roms
Article mis en ligne le 16 décembre 2024
dernière modification le 14 décembre 2024

L’anthropologue Lise Foisneau, qui partage le quotidien de communautés Roms depuis dix ans, met en ligne un site sur lequel les « gens du voyage » pourront retrouver les noms des membres de leurs familles, internés ou assignés à résidence dans la période 1939-1946.

Cela fait dix ans qu’elle circule en caravane, en camion, ou en camping-car, sans avoir jamais quitté la France. En revanche, elle ne compte plus les étapes sur les aires d’accueil pour « gens du voyage », surtout en Provence, et aux dépôts d’archives de plus d’une soixantaine de départements : Hérault, Loiret, Loire-Atlantique, Creuse, Indre et Loire, Drôme... Rencontrer l’anthropologue Lise Foisneau c’est découvrir une histoire largement ignorée et un monde « rom » d’une complexité extrême, organisé autour de lieux, de rythmes, de relations, d’échanges, qui nous sont parfaitement étrangers et qu’on ne peut appréhender qu’en partageant leur quotidien. Ce terrain de recherche est devenu partie intégrante de l’existence de Lise et de son mari, Valentin Merlin, photographe, embarqué avec elle dès 2015 dans une aventure qui se poursuit toujours aujourd’hui avec leur enfant âgé de deux ans.

Questions d’identités

Mais d’abord, qui sont-ils et d’où sont-ils ces Roms de Provence auxquels elle s’intéresse, et qui se regroupent au gré de leurs déplacements dans différentes kumpania (compagnies) qu’elle a pu, pour certaines, intégrer ? « Il m’a fallu plusieurs mois de terrain pour comprendre à quel point je devais sortir des catégories rigides au moyen desquelles l’ethnographie s’est appliquée à décrire l’identité de ces collectifs », raconte Lise Foisneau. Pour donner au lecteur une petite idée de la difficulté à établir des catégories, il faut savoir que dans ce monde, des « gens du voyage » (terme choisi par les représentants de l’administration), il y a des Roms désignés comme « Hongrois » qui se disent « Gitans » quand ils parlent à des « gadjé » (tous ceux qui ne sont pas roms), car selon eux, « le terme gitan, s’il n’inspire par la confiance, du moins inspire-t-il le respect ».

Pourquoi alors cet intérêt pour ce sujet ?

« À la fin de mon adolescence je me suis liée avec deux jeunes filles roms roumaines qui venaient d’arriver en France, se souvient-t-elle. Notre amitié m’a donnée envie, lorsqu’il a fallu choisir un sujet de mémoire pour mon master d’histoire, d’étudier un collectif de Roms dits “Hongrois” venus en France pendant la “grande migration des chaudronniers” en 1860. Et j’ai suivi ce groupe familial “Delore” jusqu’à la fin de la guerre en 1946 ». À la suite de ce travail, Lise Foisneau s’interroge sur ce que leurs descendants sont devenus et quitte l’histoire pour un doctorat en anthropologie, « car le prisme des archives policières, administratives ou folkloriques ne délivre qu’une minuscule partie de la vie des gens et biaise le regard ; il me paraissait fondamental de rencontrer les familles dont j’avais décrit les parcours. »

Vivre sur une aire d’accueil (...)

En conclusion de son livre Les Nomades face à la guerre, l’anthropologue s’interroge sur la légalité de la constitution par l’État d’un groupe privé de ses droits fondamentaux, et assume « “un geste politique” appelant au courage d’une investigation exhaustive des racines, processus, décisions et complicités qui ont conduit à la mort d’un grand nombre de personnes arbitrairement regroupées dans la catégorie Nomades ». (...)

En attendant que s’ouvre une discussion scientifique sur les qualifications de ces persécutions, Lise Foisneau transforme sa recherche en action. Pour remédier à l’absence de listes mémorielles des Roms, Manouches, Sinti, Gitans, Yéniches et Voyageurs persécutés durant la Seconde Guerre mondiale, elle met en ligne ce mois-ci une base de données totalement inédite, intitulée « NOMadeS : Mur des noms des internés et assignés à résidence en tant que “Nomades” en France (1939-1946)2 ». À l’instar des bases de données et des livres mémoriels du Mémorial de Shoah ou de la Fondation pour la mémoire de la déportation, ce site a pour mission de nommer les victimes françaises de la persécution et du génocide des collectifs romani et voyageurs, camp par camp pour l’internement, département par département pour l’assignation à résidence. (...)

Après le temps de l’itinérance, c’est le temps de l’écriture pour Lise et celui de l’édition des photos pour Valentin. Sur ses clichés, pas d’enfants pieds nus ni de moustachus à la guitare auxquels toute une imagerie d’Épinal sur les « gitans » nous a habitué. Mais des murs, des barrières, des barbelés, du béton. « Je constitue une archive de l’“encampement” des gens du voyage en France, explique Valentin. En 2024, les descendants ayant résisté à la sédentarisation forcée ne peuvent toujours pas choisir librement leur lieu de vie, et demeurent enfermés dans un réseau d’aires d’accueil d’une qualité environnementale souvent désastreuse ».