
Le secrétaire général du Hezbollah libanais s’est exprimé pour la première fois, vendredi 3 novembre, sur le conflit qui oppose Israël au Hamas. Pour la chercheuse Aurélie Daher, son discours confirme que le mouvement allié de l’Iran n’entend pas y prendre part.
Pendant près d’une heure trente d’un discours très attendu et applaudi par un public de fidèles aux quatre coins du Liban, le secrétaire général du « Parti de Dieu » a insisté sur le fait que « la décision et l’exécution » de l’attaque du Hamas étaient « 100 % palestiniennes », en écartant toute connaissance du projet par l’Iran. Il a ensuite qualifié Israël d’État « faible » et « fragile » et exhorté les Etats-Unis à imposer un cessez-le-feu.
Après avoir comparé la situation actuelle avec la guerre de 2006, qui avait opposé le Hezbollah à Israël pendant un mois, il n’a pas écarté la possibilité d’une escalade régionale en martelant que « tous les scénarios sont envisageables » et en qualifiant les batailles à la frontière libanaise d’« insuffisantes ».
Pour Aurélie Daher, enseignante-chercheuse à Paris-Dauphine et à Sciences Po Paris, autrice de l’ouvrage Le Hezbollah : mobilisation et pouvoir (2014, PUF), le discours d’Hassan Nasrallah indique la volonté du mouvement pro-iranien de ne pas s’impliquer massivement dans le conflit opposant Israël au Hamas, un scénario qui a toujours été « impossible », selon elle. (...)
La nouveauté aujourd’hui, c’est qu’il s’est adressé à ceux qu’il considère comme des « médias pro israéliens », les médias occidentaux, en leur demandant d’arrêter de vouloir impliquer l’Iran dans l’attaque du Hamas, avançant que les Palestiniens ont assez de raisons qui leurs sont propres de se rebeller contre l’occupation israélienne.
À mon sens, l’escalade d’un conflit avec une implication massive du Hezbollah a toujours été impossible, et ce discours le prouve. Quand on a passé en revue tous les discours de Nasrallah depuis plus de vingt ans, on comprend que la réthorique autour de « tous les scénarios sont possibles » indique qu’une guerre régionale n’est pas au programme. (...)
En restant dans l’ombre pendant un mois, il provoque tout d’abord questionnements et suspens. Il se prépare une audience élargie, et surtout plus attentive à son discours – notamment chez les Occidentaux. Il utilise cette attention pour ensuite, lors de sa prise de parole, pousser des éléments factuels quant à la réalité sur le terrain, éléments qui n’arrivent pas jusqu’aux médias occidentaux, jusqu’aux publics occidentaux. Il explique notamment l’état de détresse dans lequel se trouve l’armée israélienne actuellement à Gaza. C’est une stratégie militaire assez bien pensée. (...)
Mediapart : Plusieurs sondages réalisés au Liban montrent que l’écrasante majorité des Libanais sont contre une nouvelle guerre. Quelle est la légitimité du Hezbollah aujourd’hui ?
La moitié de la population libanaise est chiite, je dirais que 90 % d’entre eux soutiennent actuellement le Hezbollah. Du point de vue chrétien, la majorité de ce qu’on appelle les “aounistes” (partisans de Michel Aoun, ancien Président libanais) le soutiennent aussi.
Restent les Sunnites : malgré des désaccords sur des dossiers de politique interne, la position de la communauté est en faveur des Palestiniens. Certes, les trois quarts des Libanais ne veulent pas la guerre. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’ils ne veulent pas d’un scénario à la façon de 2006. Compte tenu de la crise socioéconomique dans laquelle se trouve le pays, ce serait une catastrophe.
Par ailleurs, autant les Libanais sont prêts à payer un prix élevé quand Israël frappe massivement le Liban, autant ils ne sont pas prêts à mourir pour les Palestiniens, même s’ils les soutiennent en principe. En tout état de cause, Nasrallah lui-même ne veut manifestement pas la guerre, et a insisté à plusieurs reprises sur le besoin d’un cessez-le-feu. (...)