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La vie des idées
Les voix multiples des droits civiques - Etats Unis -
#USA #droitsciviques #RosaParks #BlackPower
Article mis en ligne le 26 janvier 2025
dernière modification le 22 janvier 2025

À propos de : Olivier Mahéo, De Rosa Parks au Black Power : Une histoire Populaire des mouvements noirs, 1945-1970, Presses Universitaires de Rennes

En 2005, dans un article qui fait désormais référence, l’historienne Jacqueline Dowd Hall écrivait que « le récit dominant du mouvement pour les droits civiques – distillé à partir de l’histoire et de la mémoire, déformé par l’idéologie et la contestation politique, et incorporé dans les visites guidées, les musées, les rituels publics, les manuels scolaires et divers artefacts de la culture de masse – déforme et supprime autant qu’il révèle. » [1] Olivier Mahéo, auteur de De Rosa Parks au Black Power : Une histoire populaire des mouvements noirs, 1945-1970, traite ainsi des « mouvements noirs » dans leur ensemble plutôt que du seul « mouvement pour les droits civiques », généralement circonscrit à la période allant de 1954 à 1965 aux États-Unis. Ce faisant, il dépeint un mouvement plus complexe et long (constamment inachevé, comme le laisse entendre sa conclusion) que celui que le grand public connaît. Dans un ouvrage qui a émergé de son travail de thèse, Olivier Mahéo écrit donc une histoire « vue d’en bas », une histoire « populaire » en ce qu’elle propose « d’étudier les récits vaincus ou marginalisés, les voix discordantes, qui ont été effacés du récit dominant ou bien déformés, au travers de figures héroïsées » (...)

Ainsi, l’opposition de Martin Luther King Jr. à la Guerre du Viêt-Nam et les revendications économiques de sa Poor People’s Campaign de 1968 ont longtemps été oubliées. Par ailleurs, le mouvement que l’on voit se transformer après 1965 conjointement à l’idéologie du Black Power fait souvent office d’alter ego maléfique du mouvement pour les droits civiques, dans une opposition binaire entre intégrationnistes non-violents (tel Martin Luther King) et nationalistes séparatistes qui prônent l’autodéfense, dans un combat stérile et radical (tels qu’ont été représentés les Black Panthers, entre autres).

L’historiographie classique a écarté du récit traditionnel les féministes noires et les militants que leurs revendications économiques plaçaient les plus à gauche du mouvement. Ces acteurs ont été invisibilisés au sein même des nombreuses organisations de lutte pour les droits civiques, au nom d’une « politique de la respectabilité » [2] censée rendre le mouvement plus acceptable aux yeux de la société états-unienne de l’époque. (...)

Le concept du « long mouvement pour les droits civiques » (pensé par Jacqueline Dowd Hall) est largement accepté désormais. (...)

L’ouvrage apporte plusieurs contributions à la recherche. Premièrement, il contribue à rétablir la place des femmes, et celle des militants de la gauche socialiste et communiste dans les mouvements noirs aux États-Unis, dans la lignée des développements historiographiques de ces dernières années, en rassemblant ces perspectives dans un seul ouvrage. Cela permet à l’auteur d’analyser les tensions et clivages de classe, de genre et d’espace au sein du mouvement sur le temps long. (...)

Les racines marxistes du combat pour l’égalité raciale (...)

Un examen plus approfondi de la gauche noire nous permet de voir que les actions menées par des leaders comme Martin Luther King sont directement inspirées des luttes ouvrières des décennies précédentes. Ainsi, avant la célèbre Marche sur Washington de 1963 durant laquelle King proclama son discours « I Have a Dream », A. Phillip Randolph, dirigeant du syndicat noir Brotherhood of Sleeping Car Porters (BSCP), avait déjà planifié une telle marche pour demander la déségrégation de l’effort de guerre en 1941, en prônant explicitement la « désobéissance civile non-violente » (p.57). Ce « syndicalisme des droits civiques » (p.61) est présenté comme précurseur des luttes pour l’égalité qui ont marqué les années 1950 et 1960. Les actions directes menées durant le premier XXe siècle ont également inspiré les sit-ins, boycotts et manifestations des années 1960. [4] Mahéo rappelle également que les thèses de l’autodéfense et du séparatisme ne sont pas nées dans les discours de Malcolm X au début des années 1960. De nombreux Africains-Américains au début du XXe siècle reconnaissaient l’importance de s’armer, et le projet communiste de création d’une république noire dans le sud des États-Unis (la Black Belt) remonte aux années 1930.

Où sont les militantes ? (...)

La seconde partie de l’ouvrage est consacrée à l’engagement des femmes dans les mouvements noirs, qui ont été contraintes d’accepter une direction masculine souvent sexiste et un ordre hiérarchique genré au sein des diverses organisations de lutte (...) « Le respect des normes de la famille patriarcale, autour de la figure d’un chef de famille fort et d’une pratique religieuse assidue, apparaît comme une protection contre les discriminations » (...)

Les femmes ont pourtant toujours dénoncé le sexisme au sein du mouvement, comme le montrent les écrits des militantes Ella Baker et Septima Clark, ou les trajectoires des femmes engagées au sein du SNCC, dont certaines ont préfiguré l’émergence d’un féminisme noir dans les années 1970 (...)

Les tensions internes

Enfin, le livre montre comment la lutte pour les droits civiques a mis en sourdine les clivages de classe, de genre, d’espace (Nord/Sud) et de générations qui ont existé entre 1945 et 1970. Ces dissensions ont été masquées à la fois par les acteurs du mouvement eux-mêmes, au nom du principe d’unité face à l’opposition politique, et par les représentations des mouvements noirs, qui donnent l’image d’un mouvement unifié, mené par des hommes éduqués de la classe moyenne. Le mouvement pour les droits civiques a privilégié les revendications raciales, marginalisant les clivages de classe et de genre au nom de la cohésion du mouvement. Le livre explore ces tensions, notamment celles entre le SNCC et d’autres organisations comme la SCLC lors de la marche sur Washington en 1963, mais aussi les conflits générationnels au sein même des organisations, comme les divergences internes au SNCC autour de la question de l’usage de la violence et des armes. (...)

Enfin, l’ouvrage a le mérite de rappeler le rôle central de la photographie dans la représentation et la réappropriation de l’histoire du mouvement noir. (...)

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