
Si les finances de l’État et les services publics se dégradent de conserve, c’est d’abord en raison d’une politique de l’offre coûteuse et inefficace. Une nouvelle étude vient renforcer ce constat.
C’est un paradoxe qui frappe tous ceux qui s’intéressent aux finances de l’État. D’un côté, le déficit se creuse, les « dépenses publiques » rapportées au produit intérieur brut (PIB) augmentent, mais, de l’autre, la qualité des services publics ne cesse de se dégrader.
Il est d’autant plus crucial de comprendre ce phénomène que le gouvernement et tout ce que le pays totalise de néolibéraux et de libertariens utilisent la situation des comptes de l’État pour justifier de nouvelles coupes dans les services publics. (...)
Comprendre le paradoxe décrit plus haut est donc essentiel pour éviter qu’il s’amplifie. Et c’est ce à quoi s’attache une note de l’Institut La Boétie (proche de La France insoumise) publiée le 22 mai et rédigée par deux économistes, Sylvain Billot et Vincent Drezet.
Les services et besoins publics sacrifiés
Leur analyse prend comme point de départ l’évolution du partage du revenu national depuis quatre décennies. On constate un basculement en faveur du capital assez net au détriment des services publics et des salaires. (...)
La situation est d’autant plus problématique que cette stagnation, concernant les services publics, est déconnectée des besoins de la population. Le vieillissement démographique, l’irruption de nouvelles maladies, la crise écologique sont, parmi d’autres, des exemples de ces besoins croissants. (...)
Les services publics ont vocation à répondre à ces besoins collectifs, la stagnation de leur part dans le revenu national traduit donc, malgré une croissance des dépenses nominales, un appauvrissement de ces services. Elle signifie le refus de consacrer davantage de ressources produites pour les alimenter, alors même que la demande augmente.
Pour les auteurs, « à l’origine de cette redistribution en faveur du capital et en défaveur des services publics », on trouve « le choix d’une politique budgétaire au service d’une “politique de l’offre” ». La note souligne ainsi que « depuis le début des années 2000, la part de la dépense publique consacrée aux services publics diminue, quand celle consacrée aux subventions aux entreprises augmente ».
Les ordres de grandeur sont assez proches (...)
Il y a donc un choix évident : délaisser les services publics au bénéfice des profits du secteur privé. Dit autrement, les besoins du capital sont devenus prioritaires par rapport aux besoins de service public. On connaît le récit qui accompagne un tel renversement de logique : le soutien au capital permettrait d’augmenter les profits, donc l’activité économique, ce qui donnerait plus de moyens à l’État par la suite pour financer son action.
Mais ce récit, sans cesse mobilisé autour de fausses évidences, comme « il faut créer de la richesse avant de la redistribuer », s’est révélé un désastre parce que, précisément, cette action en faveur du capital, cette « politique de l’offre », ne permet pas de financer correctement les services publics. Bien au contraire, son échec réside dans le fait qu’elle demande toujours plus d’efforts. En réalité, la persistance d’un déficit important est aussi le reflet de l’échec patent de cette politique : plus le capital est aidé, plus il coûte cher.
Car la note rappelle aussi la croissance et la multiplicité de l’aide au secteur privé. (...)
Les « niches fiscales » et leur obscurité
Mais les aides sont aussi constituées des « dépenses fiscales », c’est-à-dire des réductions d’impôts pour les entreprises, et des « niches sociales », c’est-à-dire des exonérations de cotisations sociales. Ces leviers sont utilisés depuis plusieurs décennies, mais, depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée, ils ont été fortement renforcés (...)
La gabegie des « niches sociales »
L’autre dispositif important, et plus connu, ce sont les niches sociales. (...)
Ces exonérations ont des effets négatifs connus : compensées à 95 % par l’État, elles viennent directement creuser le déficit et donc peser sur le financement des services publics. En parallèle, les 5 % laissés à la charge de la Sécurité sociale creusent son déficit et justifient l’austérité dans son domaine. On pourrait aussi citer un effet de « trappe à bas salaires », puisque les exonérations sont principalement concentrées sur les salaires les plus modestes, ce qui conduit à favoriser ce type d’emploi au détriment de la productivité et de la montée en gamme de l’économie. (...)
En revanche, comme le rappelle la note, les bienfaits de ces mesures n’ont jamais été empiriquement démontrés. Les divers comités d’évaluation n’ont jamais pu prouver un effet bénéfique sur l’emploi, l’investissement et la croissance. Ce qui n’empêche pas les différents gouvernements de continuer à présenter ces « baisses de charges » comme une solution miracle. Mais ce récit sans rapport avec les faits cache bien mal une réalité plus crue : il s’agit bel et bien de faire payer la hausse des profits et des dividendes par la destruction de la Sécurité sociale et des services publics. (...)
Le coût considérable du soutien au capital est payé à la fois par une dégradation des services publics dont les besoins ne peuvent plus être correctement satisfaits et par un déficit croissant et une augmentation des « dépenses ». Les auteurs de la note le résume ainsi : « C’est un nouveau paradigme budgétaire qui se met en œuvre à bas bruit » qui « consiste à favoriser une politique active de soutien au capital financée par l’austérité dans les services publics ». (...)
La seule voie de sortie raisonnable d’une telle folie est bien de renverser cette logique mortifère en plaçant les besoins sociaux en priorité.