
Récemment, je suis tombé sur une vidéo d’Éric Zemmour dans laquelle il parlait du pouvoir d’achat. Dans celle-ci, il attaque les cotisations et les impôts, il est donc intéressant de prendre comme base sa vidéo pour essayer de déconstruire ces mythes d’inspiration néolibérale utilisés par toutes les nuances de droite pour justifier la casse de la sécurité sociale et des services publics.
« Qu’est-ce que le pouvoir d’achat ? Le pouvoir d’achat, c’est l’argent qu’il vous reste quand l’État arrête de tout vous prendre. Le pouvoir d’achat, c’est ce que vous gardez quand vous avez payé les charges qui pèsent sur votre salaire, la TVA sur tous vos achats, les taxes sur votre plein d’essence, votre impôt sur le revenu, votre redevance télé, vos impôts locaux, votre taxe foncière. Le pouvoir d’achat, c’est ce que l’État veut bien vous laisser quand il vous laisse quelque chose. » Éric Zemmour (vidéo TikTok du 19 janvier 2023).
Pour commencer, définissons le pouvoir d’achat. Pour cela, et pour éviter toute controverse, nous pouvons utiliser la définition disponible sur le site du Ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique (economie.gouv.fr) : « Le pouvoir d’achat correspond à la quantité de biens et de services qu’un revenu permet d’acheter. Le pouvoir d’achat dépend alors du niveau du revenu et du niveau des prix. L’évolution du pouvoir d’achat correspond donc à la différence entre l’évolution des revenus des ménages et l’évolution des prix. Si la hausse des revenus est supérieure à celle des prix, le pouvoir d’achat augmente. Dans le cas contraire, il diminue. » Ainsi, il dépend de l’inflation (perte de pouvoir d’achat de la monnaie, hausse généralisée des prix) ou du revenu (hausse ou baisse de celui-ci). Nous reviendrons plus loin sur ces deux dimensions.
Pour le moment, regardons de plus près ce que nous dit Éric Zemmour. Il commence par : « Le pouvoir d’achat, c’est l’argent qu’il vous reste quand l’État arrête de tout vous prendre. »
Tout d’abord, cette façon de présenter les choses est malhonnête puisque, en effet, nous payons des impôts donc si on reprend ses mots, « l’État nous prend quelque chose », mais en retour l’État nous « donne » aussi quelque chose, et cela, il n’en parle pas. L’État, grâce à l’impôt, finance notamment les services publics (écoles, hôpitaux, police…) et la sécurité sociale. Le ministère de l’économie et des finances avait d’ailleurs expliqué ce que financent 1000€ d’impôts .
Alors, pour avoir un raisonnement complet, il faut regarder ce que l’on paie et ce que l’on reçoit. Quand on fait cela, on se rend compte que la majorité des Français reçoivent plus qu’ils ne paient en impôts et cotisations. Selon une étude récente de l’Insee, en 2019, 57 % des Français sont bénéficiaires nets, c’est-à-dire qu’ils reçoivent plus qu’ils ne donnent grâce notamment à la redistribution permise par les services publics. Par conséquent, nous pourrions dire que, d’une certaine manière, un plus grand nombre de personnes gagne de l’argent en payant des impôts et des cotisations, que l’inverse. Parmi les 15 % de la population les plus modestes c’est 95 % des personnes qui sont bénéficiaires nets (c’est à dire que leur revenu après transferts est plus important qu’avant transferts) alors que pour les 5 % les plus aisés c’est seulement 13 % (André, Germain, Sicsic. 2023).
Ainsi, on se rend compte qu’il y a des intérêts de classe divergents à conserver ce modèle ou non. Prendre position contre les impôts et cotisations c’est prendre le parti des plus aisés. Par conséquent la fable qui consiste à dire comme Zemmour dans le texte qui accompagne sa vidéo que l’ensemble de la population aurait les mêmes intérêts dans la contestation des cotisations et des impôts est fausse (...)
Par la suite, Éric Zemmour évoque les célèbres « charges » qui pèseraient sur nos salaires : " Le pouvoir d’achat, c’est ce que vous gardez quand vous avez payé les charges qui pèsent sur votre salaire."
En réalité, ce qu’il appelle « charges », ce sont les cotisations sociales. Une nouvelle fois, Zemmour oublie une partie dans son discours. Il nous parle des cotisations comme d’une charge sans nous dire à quoi elles servent. C’est une nouvelle fois malhonnête. Cela sous-entend que cette partie du salaire socialisé s’envolerait comme par magie. C’est pourtant loin d’être le cas. Cette partie du salaire (la partie brute), c’est ce qui nous permet de ne presque pas payer quand on est malade ou bien encore d’avoir une assurance chômage ou d’avoir une retraite. Cet argent, nous le retrouvons tout au long de notre vie et, grâce à cela, nous sommes assurés contre de nombreux risques cités précédemment. C’est pour cela que l’on parle de « salaire différé ». (...)
Derrière ces attaques néolibérales il y a un choix de société, l’individualisme plutôt que l’assurance collective face aux risques de la vie. (...)
Il conclut cette partie du discours ainsi : « Le pouvoir d’achat, c’est ce que l’État veut bien vous laisser quand il vous laisse quelque chose. »
Tout son argumentaire repose sur l’idée que le pouvoir d’achat est réduit à cause des impôts et cotisations. Cependant, cette affirmation n’est vraie que pour les plus aisés. (...)
. Ainsi, selon l’étude de l’Insee citée précédemment, les inégalités de revenus baissent considérablement après la redistribution. Le revenu des plus riches passe de 18 fois plus élevé que celui des plus précaires à un écart de 1 à 3 après transferts publics. Dès lors, nous comprenons aisément que les attaques contre les impôts et cotisations ne servent que les intérêts des plus fortunés et non ceux de l’ensemble de la population. (...)
En résumé, attaquer les « charges » c’est-à-dire les cotisations et les impôts, c’est se positionner en faveur des plus fortunés, en faveur du capital au détriment des classes populaires notamment des plus précaires. Souvent dans les discours néolibéraux, cet antagonisme de classe est nié dans le but de faire croire à des intérêts communs sans distinction. Cette vision, comme nous venons de le voir, est chimérique, c’est-à-dire qu’attaquer les cotisations et les impôts sert les plus riches au détriment des autres.
De plus, le pouvoir d’achat dépend du niveau des revenus et du niveau des prix. Le niveau des prix reflète également l’opposition entre le capital et le travail et reflète parfois, comme ce fut le cas récemment, une augmentation des profits en faveur du capital.
La redistribution élargie est favorable à une majorité de personnes qui reçoivent plus qu’elles ne paient. Ceci dit, le débat sur le niveau d’imposition est un débat sain qui doit être posé car c’est notre conception de la société qui est en jeu. Il est par exemple légitime de questionner le manque de progressivité de l’impôt aujourd’hui, qui dans l’histoire a déjà été plus important ou bien encore le niveau de la TVA.
Alors, on ne peut comprendre les discours sur le pouvoir d’achat et les cotisations et impôts sans comprendre les intérêts opposés qui s’y affrontent. (...)